Revoici l’incontournable, l’infaillible maître-concept du décloisonnement. La Cité de la Musique en avait sans doute grand besoin, et sa galerie contemporaine fraîchement conçue par l’architecte Christian de Portzamparc est tout entière dédiée au désir méritoire de faire plier les barrières entre musique savante et populaire et d’y associer d’autres catégories artistiques. Pour son coup d’essai, la galerie évite l’écueil de l’artifice. Cinéma, dispositifs audiovisuels, extraits musicaux, éléments scéniques, clips, costumes et installations cohabitent avec fluidité en dépit de l’exiguïté des lieux. L’exposition se propose d’examiner la place du corps dans le champ musical depuis 1945 et convoque une population hétéroclite et séduisante, de Nam June Paik à Laurie Anderson en passant par Madonna, Stockhausen ou Kraftwerk. L’espace, scindé en une dizaine de thématiques, offre un échantillon probant des problématiques abordées. Sont ainsi passés en revue les motifs du corps comme instrument, celui de la voix, du corps en mouvement ou encore du couple corps-machine. La première partie renoue d’ailleurs avec les origines corporelles de la musique et confronte notamment des instruments anciens africains de toute beauté à un concert-performance de Laurie Anderson, usant de son corps équipé de petits capteurs sonores comme d’un tambour. Le parcours ébauche ainsi un large examen fait de dialogues entre objets, images et sons, visant à rendre compte des implications toujours renouvelées du corps dans la création musicale, jusqu’aux révolutions électroniques et technologiques les plus récentes. C’est le XXe siècle qui rend à la musique sa gestuelle et sa matérialité. Et au corps son identité sensuelle. La voix assume à nouveau et progressivement sa corporéité, son souffle et son aspérité, à l’image de l’émouvante interprétation de la Lulu d’Alban Berg par Teresa Stratas, dans la mise en scène de Patrice Chéreau en 1979. Le jazz puis le rock font jaillir rythmes et pulsations comme autant de reconnaissances charnelles du corps. John Cage et ses disciples l’engagent, le mettent en spectacle, en œuvre et en son. Les problématiques musicales ont ainsi fini par intégrer celles du corps, non seulement par le biais de la danse, mais encore par celui de la performance, voire même et paradoxalement par celui de la technologie. Ainsi, dans les installations télévisuelles que Nam June Paik aborde en musicien, la technologie ne fait-elle que redoubler la présence du corps. Enfin, puisque la sélection s’est livrée à une transversalité enthousiaste, on pourra regretter quelques absents : Wolf Vostell, Artaud, les Sex Pistols et pourquoi pas quelques éminents représentants de Dada, dont la présence anachronique aurait pu être tout aussi justifiée que celle de Schlemmer et de son Ballet triadique.
PARIS, Cité de la Musique, 221, av. Jean Jaurès, tél. 01 44 84 44 84, www.cite-musique.fr, 19 octobre-13 juillet.
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Le corps entendu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°543 du 1 janvier 2003, avec le titre suivant : Le corps entendu