L’Institut néerlandais d’Architecture à Rotterdam consacre une importante rétrospective à ce promoteur de la synthèse des arts, qui s’est toujours considéré comme plasticien.
Charles-Édouard Jeanneret (1887-1965), dit « Le Corbusier », fut un immense architecte. Mais il fut aussi peintre et sculpteur. Et photographe et designer textile, sans oublier précieux théoricien. Or, à son corps défendant, c’est sa casquette de maître d’œuvre qui est sans cesse mise en avant, au détriment des autres disciplines dans lesquelles l’homme s’est pourtant pleinement investi. C’est du moins le sentiment qu’a eu le Nederlands Architectuurinstituut (NAi), à Rotterdam. L’Institut néerlandais d’architecture se propose, à travers une vaste rétrospective intitulée « Le Corbusier, l’art de l’architecture », de remettre un tant soit peu les pendules à l’heure. L’entreprise est de taille, car elle réunit plus de quatre cent cinquante pièces originales – dessins, maquettes, peintures, sculptures, tapisseries, films, photographies, mobilier… Outre celles signées Le Corbusier, l’exposition comprend des œuvres de ses contemporains comme Picasso, Braque, Amédée Ozenfant, Juan Gris ou Fernand Léger.
« Au service de la poésie »
Le parcours est divisé en trois grandes parties. Le premier volet, « Contextes », montre en particulier les villes qui ont façonné le travail, la vie et les idées sur l’urbanisme de Le Corbusier : La Chaux-de-Fonds (Suisse), Paris, Rio, Alger, New York, Chandigarh (Inde)… On devine ainsi comment celles-ci ont, pour une bonne part, aiguisé ses références culturelles. La salle la plus émouvante est à n’en point douter la première, qui montre La Chaux-de-Fonds, ville natale de Le Corbusier. Le jeune architecte, pour ses premières commandes – villas Fallet, Stotzer, Jaquemet… – et bien avant de se hisser définitivement sur la voie de la modernité, y avait opté pour l’étonnant « style Sapin » alors en vigueur, variété helvétique de l’Art nouveau. Plus loin, se détachent des esquisses de conférences et moult croquis de voyage. Pointent aussi les silhouettes longilignes de ses premiers gratte-ciel ainsi que, grâce à un diorama, une vision de l’urbanisme (Ville contemporaine de trois millions d’habitants, 1922).
La deuxième partie, « Privé et public », évoque la manière dont Le Corbusier se concentre sur la relation entre objet, architecture et espace domestique. Plusieurs sièges notamment témoignent de ses inspirations multiples. Il est assez sidérant de voir comment le célèbre fauteuil à dossier basculant que l’architecte a conçu avec Charlotte Perriand, en 1928, est en fait une relecture subtile d’une chaise coloniale du début du XXe siècle. Ailleurs, à travers sa propre collection d’objets, s’affichent d’autres références : des statuettes d’art primitif côtoient des formes issues de la nature – galet, coquillage, vertèbre, pomme de pin… Dans un autre endroit, une Nature morte de Le Corbusier est accrochée en regard d’une Nature morte de Léger. Dialogue de Puristes.
Les ambitions ultimes que visait Le Corbusier sont contées dans la dernière section, intitulée « Construire l’art ». Bien qu’il œuvre comme architecte, urbaniste, peintre, designer ou encore écrivain, celui-ci se considère toujours comme plasticien. « Il n’y a pas de sculpteurs seuls, de peintres seuls, d’architectes seuls, estimait Le Corbusier. L’événement plastique s’accomplit dans une forme une au service de la poésie ». Il ajoutait : « Je suis un acrobate de la forme, créateur de formes, joueur avec les formes. Les formes [sont un] moyen d’exprimer toute l’émotion plastique. La forme [est] expression et style de la pensée. » Bref, pour lui, l’architecture est la « synthèse des arts ». Pas étonnant alors de déambuler entre une série d’œuvres en bois réalisée en tandem avec le sculpteur-ébéniste Joseph Savina et moult architectures qui apparaissent comme des sculptures, tels le pavillon Philips pour l’Exposition internationale de Bruxelles de 1958 ou l’église Saint-Pierre de Firminy (Loire).
« Le Corbusier était évidemment très fort dans la forme, mais il a toujours refusé d’être réduit à cela », résume Ole Bouman, directeur du NAi. Cette exposition en est une limpide démonstration.
- Organisateurs de l’exposition : Vitra Design Museum (Allemagne), Nederlands Architectuurinstituut (Pays-Bas), The Royal Institute of British Architects (Grande-Bretagne) - Commissaires : Mateo Kries, Stanislaus von Moos et Arthur Rüegg - Scénographie : Dieter Thiel - Nombre de pièces : 450 L’exposition ira au Vitra Design Museum, à Weil am Rhein (Allemagne), du 29 septembre 2007 au 10 février 2008 ; puis dans la crypte de la cathédrale métropolitaine du Christ-Roi, à Liverpool, du 3 octobre 2008 au 18 janvier 2009 ; enfin, à la Barbican Art Gallery, à Londres, du 19 février au 24 mai 2009.
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Le Corbusier, acrobate de la forme
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Abonnez-vous dès 1 €LE CORBUSIER, l’ART de ARCHITECTURE, jusqu’au 2 septembre, Nederlands Architectuurinstituut, Museumpark, 25, Rotterdam, Pays-Bas, tél. 31 10 440 12 00, nai.nl. Catalogue, en anglais, coéd. Vitra Design Museum/Nai/RIBA, 398 p., 84,75 euros, ISBN 978-3-931936-72-3
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : Le Corbusier, acrobate de la forme