Dix ans après « Lumière d’Or », première exposition d’icônes présentée à Anvers, une nouvelle manifestation réunit quelque 150 œuvres venues de Russie, de Grèce, d’Italie ou des Balkans. Ces pièces retracent l’évolution d’un art que l’on qualifie généralement de statique et immuable du XIIIe au XVIIe siècle.
ANVERS - Enfouie dans les sous-sol du musée, l’exposition présentée par les Musées royaux des Beaux-Arts d’Anvers se veut didactique et scientifique. Elle s’organise d’abord en thèmes pour décliner la panoplie iconographique d’un art totalement dépendant de la liturgie. Les représentations de la Vierge, les portraits du Christ, les allégories des jours fériés, les représentations des anges et des saints offrent un panorama complet. En marge de ce parcours classique, quelques thèmes rares sont présentés. On remarquera ainsi une icône russe du XVIIe siècle qui déploie une série de scènes paradisiaques dans un traitement inédit. Une autre, contemporaine, livre la vision syrienne de l’hymne Akathistos.
Au-delà de l’initiation à l’image de culte orthodoxe, l’exposition entend livrer une réflexion originale sur ces icônes comme lieu de confrontation de la tradition orientale et de l’art de l’Occident. Après avoir marqué les artistes du XIIIe et du XIVe siècle, et jusqu’aux tenants du gothique international au XVe, les peintres d’icônes subissent à leur tour l’influence d’une Europe occidentale métamorphosée par l’esprit de la Renaissance. L’humanisme perturbe d’autant plus les codifications rigides de l’art de l’icône que l’Empire byzantin s’effondre en 1453, jetant ses peintres dans un vaste mouvement d’émigration à destination des Balkans, de la Crète – sous domination vénitienne – ou de la Grèce.
Le recours à la perspective abolit l’intemporalité et l’indétermination de l’espace voué à l’or spirituel. Des thèmes iconographiques inconnus du rite orthodoxe sont assimilés. Le critère de réalisme menace le hiératisme d’un art voué à la représentation de l’invisible. À cet égard, les icônes de Simon Ouzjakov (1626-1688) illustrent les tensions vécues tout au long du XVIIe siècle par une Russie qui se tourne sans cesse davantage vers l’Occident. Ouzjakov modernise les habits et adopte un modelé naturaliste des ombres et des lumières. S’il respecte encore un certain hiératisme, d’aucuns y renoncent pour adopter un pittoresque d’inspiration baroque. La pratique de l’icône cesse alors d’évoluer pour connaître une révolution qui en menace la destinée.
Le cas de la colonie d’artistes grecs installée à Venise depuis le XVe siècle illustre d’une autre manière la permanence de ce contact entre Occident et Orient. Les peintres d’icônes italo-byzantins, spécialisés dans les Madonneri, y perpétuent la pratique du fond d’or sans que celui-ci ait conservé sa valeur théologique. Le byzantinisme y devient une maniera occidentale, sans pour autant rompre avec la tradition de l’icône.
D’une présentation soignée, l’exposition d’Anvers apparaîtrait comme un plaisir de spécialiste s’il n’y avait la magie des images qui s’offrent comme la manifestation de l’invisible. Un souffle divin à l’échelle baroque, mis en scène dans une sorte de crypte romane… comme si le lieu lui-même venait à la rencontre de l’Orient byzantin.
D’UN AUTRE MONDE. ICÔNES INCONNUES ET ART BYZANTIN, jusqu’au 1er mars, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, 2 PlaatsnijdersÂstraat, 2000 Anvers, tél. 32 3 238 78 09, tlj sauf lundi 10h-17h. Catalogue en français et en néerlandais, 142 p., 1250 FB.
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Le Christ s’arrête à Anvers
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : Le Christ s’arrête à Anvers