Le Musée Barbier-Mueller, détenteur de la plus importante collection privée d’œuvres Baga de Guinée, en dévoile la force plastique.
GENÈVE - Si l’on se plonge dans les récits des premiers voyageurs européens (scientifiques, médecins, administrateurs coloniaux…), les Baga de Guinée y sont décrits comme des êtres laids, vils et paresseux, enclins à la boisson, confinés dans le fétichisme et l’idolâtrie. Pire ! Leurs « terres gluantes » aux rivages hostiles et à l’air empoisonné les ont relégués au plus bas degré de la sauvagerie. « Ce sont les plus primitifs de l’Afrique », ira jusqu’à écrire un certain Madrolle en 1895…
Quelques décennies plus tard et à quelques milliers de kilomètres des mangroves guinéennes, les pièces Baga arrivées sur le marché européen suscitent d’emblée l’enthousiasme des collectionneurs et des artistes. Maurice de Vlaminck fut ainsi le premier à succomber au charme de cette vigoureuse statue de femme agenouillée qui orne la couverture du catalogue de l’exposition du Musée Barbier-Mueller, à Genève : pour des raisons économiques, le peintre fut contraint de la céder au marchand Charles Ratton peu après 1918, sous la condition expresse d’être payé en pièces d’or ! Devenue une « icône » de l’art africain, la pièce fut ensuite acquise dans les années 1930 par le grand collectionneur suisse Josef Mueller. Son gendre, Jean Paul Barbier-Mueller, n’aura alors de cesse d’enrichir ce fonds, séduit par le contraste saisissant offert par ces visages au nez long et aux lèvres pincées et ces corps musclés et sensuels. Parmi les chefs-d’œuvre de cet ensemble parfaitement documenté par les travaux récents de l’anthropologue David Berliner, s’impose ainsi ce masque serpentiforme constellé de fragments de miroir et de pigments rouges, noirs et blancs. Aussi séduisant soit-il de prime abord, il était censé provoquer la terreur des villageois, et tout particulièrement celle des femmes, qui ne pouvaient l’approcher…
Mais s’il est une œuvre qui symbolise, à elle seule, l’extraordinaire pouvoir de fascination exercé par l’art Baga, c’est bien l’imposant masque d’épaule baptisé dimba. Avec son nez busqué, ses yeux proéminents, ses oreilles en forme d’U couché, sa coiffure en crête incisée de chevrons, son long cou cylindrique et son buste en cloche ponctué de seins allongés, cette figure allie, avec un rare sens du théâtral, monumentalité et géométrisation. Ce n’est pas un hasard si Picasso – qui possédait un masque du même type – s’en inspira pour créer sa série de têtes en plâtre représentant Marie-Thérèse Walter, sa jeune maîtresse.
De nos jours, il n’est pas rare d’assister encore à une sortie de dimba, à l’occasion d’un mariage ou avant un grand match de football. Preuve qu’elle a conservé son immense aura…
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Le choc Baga
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 30 mars, Musée Barbier-Mueller, 10 rue Jean-Calvin, Genève, tlj 11h-17h, tél. 41 22 312 02 70, www.musee-barbier-mueller.ch. Catalogue, Mémoires religieuses, Baga, par David Berliner, 125 p., 39 CHF (32 €).
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Lire la notice d'AlloExpo sur l'exposition « Découvrez Les Baga »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Le choc Baga