BORDEAUX
Les architectes de ce pays affecté par les conséquences du réchauffement climatique redoublent d’imagination pour parer aux risques naturels, sans user de grands moyens.
Bordeaux. Hormis son fabuleux bâtiment de l’Assemblée nationale érigé entre 1964 et 1982 dans la capitale Dacca, signé par un architecte étranger, l’Américain Louis Kahn, le Bangladesh n’est que peu, sinon pas du tout, considéré pour son architecture.
Il y a lieu de remettre les pendules à l’heure, car ce pays du sous-continent indien pourrait bien devenir un modèle de réponse architecturale aux questions sociétales, économiques et climatiques qui bouleversent aujourd’hui la planète : explosion démographique, exode rural, mais surtout crise environnementale engendrée par le réchauffement climatique, laquelle se traduit, en ce territoire implanté sur le plus grand delta du monde, par une aggravation des inondations, une montée du niveau de la mer et une augmentation du nombre et de la force des cyclones. Des conséquences dramatiques d’ores et déjà visibles au Bangladesh, et dont les risques sont intégrés aux réflexions des architectes depuis plusieurs années.
C’est ce que montre cette séduisante exposition intitulée « Bengal Stream, architecture vive du Bangladesh », déployée au Centre d’architecture Arc en rêve, à Bordeaux. Celle-ci réunit une soixantaine de projets – dessins, maquettes, films et photographies, dont certaines joliment imprimées sur textile –, qui témoignent de l’extraordinaire vivacité des maîtres d’œuvre de cette nation.
Premier réflexe, le plus évident : surélever. Ainsi l’école Bidyabhuban, à Kachiyakanda, conçue comme une plate-forme aérienne par Naim Ahmed Kibria (agence Indigenous), accueille-t-elle trois salles de classe en bambou et toits de chaume, construites sans aucun clou métallique. Parfois, c’est le village entier qui doit être rehaussé, comme le fait Kashef Chowdhury avec ceux juchés en bordure du fleuve Jamuna, lesquels sont déplacés sur des îles en forme de gouttes d’eau créées à l’aide de remblais et dont l’altitude dépasse le niveau de la crue maximale. On y trouve aussi une école et un dispensaire, la durée des hautes eaux pouvant être longue.
Jonglant souvent avec des budgets serrés, les architectes bangladais redoublent d’ingéniosité pour imaginer des édifices aux lignes assurément contemporaines. Pour preuve cette multitude de bâtiments réalisés en briques – la terre crue est, ici, un matériau de construction ancestral –, tels ces logements temporaires destinés aux ouvriers, situés à 30 km de Dacca, imaginés par Framework Cabinet et par la suite transformés en complexe hôtelier. Telle encore la bibliothèque de l’Université internationale de Dacca, à Badda, signée de l’agence Archeground. Citons aussi l’école Meti, à Rudrapur, de l’Allemande Anna Heringer, avec murs en torchis et premier étage conçu en tiges de bambou. Malgré l’emploi de matériaux traditionnels, le résultat est époustouflant, à mille lieues d’une « architecture de la pauvreté ».
Rien n’empêche, d’ailleurs, les maîtres d’œuvre bangladais d’user de matériaux modernes, comme le béton, suffisamment résistant dans un pays au climat aussi humide. En témoigne ce complexe pour l’association de femmes Mohila Samity, à Dayaganj, par Ehsan Khan Architects, abritant, entre autres, deux théâtres, des salles de cours ou de conférences et une école primaire.
Kashef Chowdhury vient, lui, d’achever à Kuakata un projet exemplaire : un abri anticyclonique pouvant accueillir 1 800 personnes ainsi que leur bétail. Lorsqu’il ne sert pas à cette fonction, comme actuellement, le bâtiment fait office d’école, hébergeant trois salles de classe, et de centre de soins médicaux. Comme le souligne à raison Francine Fort, directrice d’Arc en rêve : « Le Bangladesh pourrait devenir un modèle global d’activisme architectural responsable. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Le Bangladesh, laboratoire de l’architecture contrainte