Lawrence Abu Hamdan politise le son

Besançon (Doubs). Le Frac Franche-Comté offre à Lawrence Abu Hamdan (né en 1985 à Amman, en Jordanie ; vit à Beyrouth) sa première exposition monographique dans une institution française. Sa galerie parisienne, Mor Charpentier, partenaire de l’événement, s’en félicite, tout en soulignant l’originalité de la démarche de cet « artiste-chercheur ». « Lawrence mène un travail conceptuel, axé sur le son, qui nécessite une grande technicité pour être montré dans de bonnes conditions. Même si ses exigences en la matière ne sont pas les mêmes selon qu’il expose dans l’espace d’une galerie, d’un musée ou d’une biennale », explique-t-on chez Mor Charpentier. Les conditions offertes par le bâtiment signé Shigeru Ban à Besançon sont au niveau des biennales internationales où l’artiste est régulièrement invité, de Gwangju (2016) à Toronto (2022), en passant par Sharjah (2017 et 2019), Venise (2019) et Sydney (2020).

Le travail engagé du co-lauréat 2019 du Turner Prize se nourrit en partie des enquêtes que lui commandent des organisations humanitaires ; certaines de ses pièces découlent directement de ces collaborations. Deux des installations présentées au Frac, Rubber Coated Steel (2016) et Saydnaya (The Missing 19dB) (2017), résultent ainsi de ses missions d’enquêteur, menées la première aux côtés de l’ONG Defence For Children International, la seconde avec le collectif Forensic Architecture, dans le cadre d’une campagne d’Amnesty International. À l’inverse, son documentaire audio The Freedom of Speech Itself (2012) – qui mettait en cause le dispositif de sélection des demandeurs d’asile – a été utilisé comme preuve auprès de la justice britannique.

Dans un parcours comprenant six pièces, l’approche acoustique de l’auteur trouve une formalisation visuelle à chaque fois différente (installation vidéo, photographies, sculptures…) et d’une grande efficacité. Une attention active est requise : le visiteur est ainsi invité à s’asseoir devant une scène, celle de l’installation vidéo 45th Parallel (2022), qui, avec ses grandes tentures reprenant les décors peints à la main du film, interroge d’entrée l’arbitraire notion de « frontière ». Puis il peut s’allonger sur le dos pour contempler la vidéo d’un ciel libanais devenu une zone aérienne de non-droit (A Diary of The Sky, 2023). La démonstration induit parfois une réflexion esthétique surprenante, comme dans les tirages photographiques de Rubber Coated Steel dont le spectre coloré traduit les fréquences sonores de tirs à balles réelles. Dans tous les cas, le propos est délibérément politique.

On pourra trouver le travail de Lawrence Abu Hamdan parfois un peu bavard, mais il n’est jamais univoque. Au cœur de l’exposition, c’est une installation muette qui mobilise cette fois notre mémoire des bruits, tout en établissant un parallèle troublant entre l’industrie cinématographique et l’univers des prétoires. Inventaire à la Prévert d’objets évoquant des témoignages auditifs dans des affaires judiciaires, Earwitness Inventory (2018) fait partie de la collection du Frac. Depuis 2007, le Fonds régional d’art contemporain accorde en effet une large place aux œuvres sonores, dans ses acquisitions mais aussi à travers sa programmation. Un choix qui fait judicieusement écho à la montée en puissance du son dans l’art contemporain.