L’exposition-phare de l’Année Vauban, organisée dans la citadelle de Mont-Dauphin, combine propos scientifique et travaux pratiques. Elle met en exergue le bâtisseur, mais aussi l’écrivain et le savant.
Le temps paraît s’y être arrêté. Perchée à 1 000 mètres d’altitude sur le plateau de Millaures (mille vents), en surplomb de la vallée de la Durance dont elle contrôle le passage, et encerclée par les contreforts du Queyras, la citadelle de Mont-Dauphin (Hautes-Alpes) tient aujourd’hui davantage du lieu de retraite que de la place dévolue à l’action militaire. Situé à quelques encablures de Briançon, autre construction de Vauban (1633-1707), le site n’a, de fait, jamais subi le coup de feu. Seule une bombe lâchée par un avion italien, en 1940, y a provoqué quelques dégâts. Construite de 1694 à 1704 sous la direction du commissaire aux fortifications de Louis XIV pour résister aux incursions des Savoyards, la citadelle de Mont-Dauphin a presque immédiatement perdu de son utilité : en 1713, le traité d’Utrecht, qui entérine la fin de la guerre de Succession d’Espagne, a pour conséquence un recul de la frontière de 10 kilomètres. Mobilisé sur ce front par Louis XIV, Vauban s’y était aussi cassé les dents : terrain difficilement exploitable pour son matériau – du poudingue, un agglomérat de cailloux enveloppé de terre et de sable – ; nécessité de construire un autre ouvrage sur le plateau d’en face, plus élevé que la citadelle ; et enfin échec de son projet d’y implanter une ville neuve, comme à Neuf-Brisach, en Alsace, en dépit d’incitations fiscales. Pour quelle raison fallait-il construire une ville dans cet endroit reculé, à l’écart des axes commerciaux ? « Pour tenter de fixer les soldats dans la garnison, en leur offrant une vie sociale, et éviter le phénomène de désertion, explique Daniel Sautai, administrateur de la place forte. Mais l’autre raison, inavouée, était d’y implanter un bastion catholique en terres protestantes. » Aujourd’hui, c’est ce double échec militaire et urbain qui fait l’intérêt de la place. N’ayant jamais subi de faits d’armes, celle-ci a été figée dans cet état d’inachèvement, vaste enceinte protégeant d’élégants casernements, quelques maisons et une église non terminés, les interstices étant comblés par des espaces verts. Seules quelques adjonctions ont été construites au XVIIIe siècle – dont la très belle caserne Rochambeau avec sa charpente à la Philibert Delorme –, un arrêté de classement au titre des monuments historiques datant de 1966 interdisant toute construction neuve.
Outre l’atmosphère étrange qui règne dans cette position de repli, où vivent une centaine d’habitants parmi lesquels certains avouent rechercher cette « insularité montagnarde », Mont-Dauphin est de facto un excellent cas pratique pour qui souhaite comprendre la logique des constructions de Vauban. En cette année du tricentenaire de sa mort et de la candidature de la citadelle à une inscription à l’Unesco, la place a fait partiellement peau neuve (remparts et bâtiments restaurés), la préoccupation constante de son administrateur étant de lutter contre une végétation envahissante et destructrice. La tenue de l’exposition-phare des manifestations de cette Année Vauban y a contribué, offrant la possibilité de proposer de nouveaux parcours de découverte du site.
Son meilleur commissaire
L’accès sur place s’effectue par le glacis nord-est. Là, le visiteur s’engage dans une tranchée d’attaque restituée d’après le Traité de l’attaque des places de Vauban, une publication posthume. « Il ne s’agissait pas de produire une reconstitution historique, explique Guillaume Monsaingeon, co-commissaire de l’exposition, car il n’y a jamais eu de siège à Mont-Dauphin, mais plutôt de faire comprendre la logique de la guerre de siège. » Placé dans la posture de l’assiégeant, le visiteur progresse dans les tranchées en zigzag, un tracé qui répond à la complexité des formes du bastion. « L’avancée dans les tranchées se fait sans jamais voir la citadelle, sauf après avoir atteint le but, c’est-à-dire être parvenu aux fossés et avoir entrepris la sape de l’escarpe », poursuit Guillaume Monsaingeon. Après un parcours au pied de l’enceinte, le visiteur chemine jusqu’à l’arsenal, où se tient une exposition ambitieuse réunissant archives, peintures, objets militaires ou scientifiques, projets, plans…, destinés à présenter une autre facette de la personnalité de Vauban. Certes l’homme était un militaire accompli, rompu aux sièges où il s’était souvent illustré et desquels Louis XIV voulait l’éloigner, de peur d’y perdre son meilleur commissaire aux fortifications. Mais il était aussi un intellectuel annonçant les curiosités des Lumières, touchant à la science et à la sociologie. Le portrait dit « de l’Élysée » – car conservé d’ordinaire dans le bunker du palais présidentiel – en donne une bonne image : peint en costume d’apparat, et tenant à la fois un verre à pied et une poire à poudre, Vauban y prend la posture de l’aristocrate. La tache brune qui noircit sa joue, signe d’une blessure par balle considérée, d’ordinaire, comme un attribut de valeur guerrière, y est par ailleurs estompée. Les documents présentés, parmi lesquels des pièces inédites provenant des archives familiales encore conservées au château de Rosanbo (Côtes-d’Armor), illustrent les multiples centres d’intérêt de Vauban, toujours empreints d’un même souci : la grandeur du royaume. « Vauban n’est pas un écrivain à la plume facile, mais un laborieux qui rumine les observations et les idées qui le questionnent pour les transformer en projets qu’il veut solidement argumentés », écrit Michèle Virol dans l’ouvrage de référence qui accompagne l’exposition.
Féru d’expérimentations, il devient membre de l’Académie des sciences en 1699. Promoteur du « pré carré », il plaide pour la fixation des lignes de frontière auparavant délimitées par des zones fluctuantes. Jeune militaire, Vauban aurait manifesté son intérêt pour la diplomatie avant que Louvois ne l’en écarte, voulant préserver ses talents pour la guerre et le génie militaire. Soucieux de rationaliser les dépenses militaires, il veut généraliser la recette de la soupe au « bled » (nom générique désignant alors les céréales), partant du principe qu’un bon soldat doit être bien nourri. D’autres dissertations portent sur les mœurs, la société, mais aussi la fiscalité, avec son célèbre texte, La Dîme royale, un impôt dont les nobles ne seraient pas exempts. Mais Vauban était aussi un bâtisseur, auteur de projets concrets et, parfois, utopistes, comme en témoigne une étonnante canonnière flottante. On regrettera toutefois l’absence de maquettes illustrant le propos. Le plan-relief de Mont-Dauphin, exposé dans la poudrière voisine, n’est qu’une copie à échelle, le Musée des plans-reliefs, à Paris – dont les occasions de valorisation de sa collection sont pourtant rares ! – n’ayant consenti aucun prêt.
- place forte de Mont-Dauphin, 05600 Mont-Dauphin, jusqu’au 16 septembre, tél. 04 92 45 42 40, tlj, 13h-19h, www.monuments- nationaux.fr - Commissaires de l’exposition : Nicolas Faucherre, professeur d’histoire de l’art à l’université de Nantes ; Guillaume Monsaingeon, professeur de philosophie - Scénographie : agence Pylône
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À l’assaut de Vauban
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Abonnez-vous dès 1 €- Émilie d’Orgeix, Victoria Sanger, Michèle Virol, Isabelle Warmoes, photographies de Pascal Lemaître, Vauban, Éd. du patrimoine/éd. Gérard Klopp, 2007, 272 p., 78 euros, ISBN 78-2-85822-937-6 - Nicolas Faucherre, Guillaume Monsaingeon, Antoine de Roux, Les Plans en relief des places du Roy, Éd. du patrimoine/éd. Adam Biro, réed. 2007, 159 p., 30 euros, ISBN 978-2-85822-936-9 p Robert Bornecque, Mont-Dauphin, place forte de Vauban, Éd. du patrimoine, collection « Itinéraires », 56 p., 7 euros, ISBN 978-2-85822-934-5 - Guillaume Monsaingeon, Les Voyages de Vauban, 2007, éd. Parenthèses, 160 p., 24 euros, ISBN 2-86364-179-8 - Guillaume Monsaingeon, Vauban, un militaire très civil, 2007, éd. Scala, 335 p., 35 euros, ISBN 978-2-86656-385-1
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : À l’assaut de Vauban