Fidèle à son sous-titre, "L’artiste moderne devant l’événement historique", l’exposition du Centre Georges Pompidou propose une vision scolaire des rapports entre l’Art et l’Histoire. De 1936 à aujourd’hui, elle reproduit les schémas d’une lecture univoque.
PARIS - "Face à l’Histoire" se présente comme un inventaire des conduites politiques des artistes depuis 1936, époque qui voit la liquidation des avant-gardes, jusqu’à aujourd’hui, quand triomphe plus ou moins discrètement le "politiquement correct". Ces deux dates conditionnent évidemment le propos de l’exposition qui est réglée sur une perspective simpliste : l’homme et l’artiste ne font qu’un et, sollicité par l’événement, il y apporte une réaction claire et immédiate au moyen de son œuvre. Si l’on accorde quelque crédit à ce schéma de stimulus-réponse (l’événement est tragique, l’œuvre est positive), l’exposition est, dans son genre, une réussite, et il ne manque pas un bouton de guêtre. Les étapes successives de l’Histoire sont évoquées à travers des revues de chaque période considérée, présentées sous vitrines dans un long couloir grillagé qui donne accès aux salles où prennent place les œuvres correspondantes. À moins qu’il ne soit très distrait, le visiteur ne s’égarera pas, reconnaîtra d’emblée la signification des peintures sans le moindre risque de commettre un contresens dans son interprétation.
Parcours fléché
Fortunato Depero et Mario Sironi célèbrent le fascisme tandis qu’Otto Dix et Oskar Kokoschka le dénoncent ; Picasso est contre la guerre de Corée, Motherwell pour la République espagnole ; Télémaque, Larry Rivers, Gilles Aillaud, Malcolm Morley sont réfractaires à l’impérialisme américain. Généralement, les artistes n’ont aucune sympathie pour Staline, Hitler, se méfient de Mao, Adenauer, de Gaulle, Nixon, désapprouvent l’usage de la bombe atomique et, avec une belle unanimité, stigmatisent le recours à la violence contre les libertés démocratiques en Irlande ou en Amérique du Sud. Plus personne ne pourra dire que l’art moderne n’a pas de contenu ni de sens : à en croire le parcours de "Face à l’Histoire", qui ne s’embarrasse pas de difficultés superflues, il n’a même que ça.
Peu importe que la signification des œuvres soit toujours identique : engagée, humaniste, dépourvue de toute ambiguïté. Un sens unique vaut mieux que toutes les contradictions, l’univocité mieux que des questionnements erratiques. À une époque comme la nôtre, où les valeurs sont réputées en danger, ce rappel au bon sens trouve son plein emploi. Décidément, la modernité n’a jamais été qu’un moment d’égarement coupable, et il s’agit de l’enterrer une fois pour toutes, en forgeant, au besoin avec des outils grossiers, la preuve que la vie des formes n’appartient pas à l’Histoire. Comment y parviendrait-elle puisque cette dernière n’est rien de plus qu’une succession de faits ordonnés sur l’abscisse de la chronologie ?
Histoire quotidienne
L’exposition est toute entière organisée en fonction de ce postulat manichéen et désuet qui vise bien, avec un effort de respectabilité scolaire et des atours progressistes, à une sourde révision conservatrice du xxe siècle. On cherchera en vain dans le catalogue l’expression d’un tel parti pris idéologique, qui aurait eu le mérite de susciter le débat. Mais c’est précisément cette omission qui rend l’entreprise aussi banale que redoutable. Seule la dernière partie contemporaine, qui prend ses quartiers dans la galerie Nord, en dépit de son aspect chaotique et de la présentation absurde de certaines œuvres (comme celle de Bruce Nauman, accrochée dans un coin), n’adhère pas à cette perspective. Due à Chris Dercon, directeur du Boijmans Van Beuningen de Rotterdam, la sélection manque évidemment d’ampleur, mais elle esquisse au moins des relations plus riches et plus ouvertes de l’artiste face à son temps. Comme l’indiquent les Date Paintings d’On Kawara, vécue chaque jour, l’Histoire n’est pas seulement un récit, mais une trame complexe et diffuse dans laquelle toute œuvre s’inscrit.
FACE À L’HISTOIRE, jusqu’au 7 avril, Centre Georges Pompidou, tlj sauf mardi 12h-22h, samedi-dimanche 10h-22h. Catalogue sous la direction de Jean-Paul Ameline et Harry Bellet, avec des contributions de Jacques Rancière, Régis Michel, Michel Frizot, Brigitte Léal, Pascal Ory, Didier Schulmann, Weiland Schmied…, coédition Centre Georges Pompidou-Flammarion, 620 p., 420 F.
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L’art sous l’Histoire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : L’art sous l’Histoire