Longtemps réduite au caravagisme, la période italienne de Simon Vouet est empreinte d’un savant éclectisme qui marie portraits, peintures religieuses et scènes mythologiques.
Comment, au cours des années 1620, Vouet le Parisien est-il devenu, en quatorze années de séjour en Italie, ce premier peintre de Rome ? Des prêts exceptionnels, de nombreuses œuvres inédites et une scénographie pédagogique permettent à cette exposition d’en faire comprendre assez aisément les raisons.
Un portraitiste talentueux
L’entrée en matière se fait grâce à une série d’autoportraits. Vouet n’a en effet jamais rechigné à traiter de sa propre image. Pas pour témoigner d’un physique des plus gracieux, comme le note la formule de l’historien d’art Jacques Thuillier le concernant : « Les paupières lourdes sur de gros yeux saillants, la bouche petite et gourmande... », mais pour procurer un excellent modèle faisant montre de l’habileté du peintre, comme l’illustre ce très bel autoportrait de 1620, réapparu seulement en 2001 (collection Kœlliker). L’image n’est pas celle d’un artiste bohème, mais celle d’un gentilhomme, d’un artiste établi pensionné par le roi de France pour travailler à Rome, aux traits certes fatigués mais au port altier. Représentés sur fond sombre, les traits de Vouet sont modelés alors que son vêtement n’est qu’esquissé.
L’image est pourtant loin d’être convenue et témoigne de tout le talent de portraitiste de Vouet. Celui-ci est confirmé dans un autre autoportrait de la même veine, daté vers 1627, soit lors de son départ pour Paris (Lyon, musée des Beaux-Arts). Cette fois-ci, le peintre, figuré frontalement, fixe le spectateur, la chevelure en désordre, la bouche légèrement entrouverte. Le vêtement est encore brossé largement : pour Vouet, l’essentiel n’est pas dans l’artifice, mais dans la vérité des traits du modèle.
Ses talents de portraitiste l’avaient d’ailleurs fait remarquer très jeune. Âgé d’à peine 14-15 ans, il avait ainsi été envoyé en Angleterre pour exécuter le portrait d’une dame de qualité, puis avait peint un portrait de mémoire du Grand Turc, lors d’un séjour à Constantinople – deux œuvres aujourd’hui perdues, tout comme le portrait commandé par le pape Urbain VIII. Vouet était néanmoins plus attiré par les portraits amicaux, traités presque comme des scènes de genre, que par les portraits officiels. La monumentale image d’un membre de la famille Doria (musée du Louvre), au réalisme sans concession, peinte lors d’un séjour à Gênes en 1621 et qui devait appartenir à un décor monumental, fait ainsi figure d’unicum.
Arrivé à Rome à plus de 20 ans, déjà formé et quelque peu reconnu, Vouet n’échappe toutefois pas au courant caravagesque qui domine alors la ville. Plusieurs tableaux en témoignent par leur choix iconographique, dont Les Deux Amants et Les Deux Musiciens des rues illustrés dans l’exposition par des copies – la scénographie permet de s’en rendre compte, car les peintures sont placées en retrait – et surtout les deux versions de La Diseuse de bonne aventure (lire l’encadré). Mais Vouet a d’autres ambitions et sait assez rapidement se détacher de cette veine. La Madeleine pénitente (vers 1616, collection particulière), qui n’avait encore jamais été exposée, témoigne ainsi d’une très étonnante parenté avec l’art de l’Espagnol Ribeira – passé à Rome entre 1612 et 1616 – par son chromatisme froid.
« Un éclectisme créateur »
Peintre ambitieux, Vouet s’est en effet rapidement engagé dans des sujets plus héroïques, même s’il n’a jamais manifesté la même fascination pour l’antique que Poussin. Rapidement, il obtient d’ailleurs de grandes commandes, jamais peintes à fresque. La première est la Nativité peinte pour l’église romaine de San Franceso à Ripa (vers 1620), exceptionnellement prêtée et restaurée pour l’exposition. Il fut aussi le premier peintre étranger à obtenir une commande de retable pour Saint-Pierre de Rome, malheureusement disparue, mais connue par des esquisses.
Proche des lettrés, Vouet est sollicité par tous les grands mécènes de l’époque. Entre 1624 et 1627, il devient donc le premier peintre de Rome. Les sujets sont multiples, des grandes scènes religieuses, dans l’esprit de lisibilité de la Contre-Réforme, aux images de femmes à mi-corps en passant par quelques rares sujets allégoriques, Vouet fait preuve d’un « éclectisme créateur », selon Dominique Jacquot, l’un des commissaires de l’exposition.
Sa palette s’éclaircit progressivement. Suggéré en 1622 par Jacques Thuillier, aujourd’hui en 1624 par Dominique Jacquot, ce changement illustre les prémices de ce que les spécialistes appellent le courant du « néovénétianisme », dont Poussin sera l’un des meilleurs représentants, inspiré des œuvres des maîtres de Venise du xvie siècle, Titien, Véronèse et le Tintoret. Le Temps vaincu par l’Espérance, l’Amour et la Beauté (1627), exceptionnellement prêté par le musée du Prado, à Madrid, clôt ainsi le séjour romain. Les thèmes mythologiques profanes s’imposent, la palette se refroidit. En 1627, Vouet est rappelé à Paris. Il ne participera donc pas à l’aventure du baroque romain, qu’il a pourtant largement contribué à initier.
La représentation d’une diseuse de bonne aventure, qui lit l’avenir à un jeune homme qu’elle est en même temps en train de voler, est l’un des thèmes classiques du répertoire du Caravage (1571-1610), devenu très à la mode au seicento. L’exposition de Nantes procure l’occasion exceptionnelle de voir réunies côte à côte deux versions de ce thème exécutées par Simon Vouet – il en aurait existé une troisième jamais retrouvée. L’une est datée de 1617 et conservée au Palais Barberini, à Rome ; l’autre, datée vers 1620, appartient aux collections de la Galerie nationale du Canada, à Ottawa. À partir d’un thème commun, Vouet a livré deux œuvres finalement assez dissemblables, malgré leur ténébrisme accentué.
Dans le pur style caravagiste
Pendant de nombreuses années, la première ne lui était pas attribuée. Jusqu’à ce qu’une restauration, en 1997, donne l’occasion aux spécialistes d’étudier le revers de la toile et d’y découvrir une série d’inscriptions de la main du peintre. La toile aurait été peinte pour Casciano del Pozzo, grand collectionneur romain qui avait acquis de nombreuses peintures de Vouet. Elle aurait par ailleurs été exécutée, ad vivum, c’est-à-dire d’après nature. Sa verve populaire mais très naturaliste atteste d’un ancrage dans la tradition du Caravage, réinterprétée par Manfredi, l’un de ses émules, avec davantage de raffinement. La bohémienne y abuse de la crédulité d’un artisan pour lui vider les poches.
Plus tardive, la peinture d’Ottawa semble aussi plus convenue, plus réfléchie. La scène est plus complexe, multipliant les personnages, exacerbant les mimiques grotesques, proches du burlesque. Vouet inverse même les valeurs, la bohémienne diseuse de bonne aventure étant ici elle-même victime d’un vol, alors que la jeune femme à qui l’on prédit l’avenir regarde le spectateur en riant. Déjà, Vouet semble manifester ici son désir de dépasser la leçon des maîtres.
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L’art si singulier de Vouet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°610 du 1 février 2009, avec le titre suivant : L’art si singulier de Vouet