Qu’est devenu le traditionnel nu, synonyme de beauté idéale, au XXe siècle, siècle des révoltes et des ruptures ? Qu’a-t-il apporté à l’art de ce siècle ? Est-il toujours lié à la notion de beauté ? Réponses à la Fondation Maeght où sont exposées 150 œuvres de 60 artistes majeurs.
SAINT-PAUL - “Ce que fut l’amour aux conteurs et aux poètes, le nu le fut aux artistes de la forme”, écrivait Paul Valéry au début de ce siècle. Cette affirmation n’a rien perdu de sa pertinence et de son actualité, comme le prouve l’exposition présentée à la Fondation Maeght : c’est au présent qu’il faut évoquer le nu comme source d’inspiration pour les artistes du XXe siècle. Jean-Louis Prat, directeur de la fondation et commissaire de l’exposition, en fait la démonstration en convoquant les plus grands noms de l’art de ce siècle : Cézanne, Modigliani, Duchamp, Picasso, Chagall, Matisse, Dubuffet, De Kooning, Giacometti, Balthus, Rouan, Basquiat, Baselitz, Bourgeois..., pour n’en citer que quelques-uns.
Leurs œuvres sont exposées selon un parcours chronologique qui débute par les années 1900, dans la première salle où sont exposées des œuvres de Cézanne, Bonnard, Maillol et Rodin. À ce moment s’amorce déjà un changement, une rupture dans la représentation du nu. Une salle est ensuite consacrée au Surréalisme avec Magritte, Delvaux, Masson. Dans une autre sont rassemblées des œuvres de Picasso, Fautrier... consacrées à la guerre. À côté des grands artistes qui, comme Matisse, Picasso, Maillol et Bonnard, se sont particulièrement intéressés au nu, on découvre les travaux plus inattendus de Kupka, par exemple, pionnier de l’abstraction, et de Nicolas de Staël dont Les Figures (1953, coll. part.), grands nus debout, hésitent entre figuration et abstraction. En filigrane, on remarque les échos des modèles du passé : Cranach chez Dix ou Goya chez Modigliani et Picasso. L’exposition s’achève par une présentation d’œuvres de Wesselman, Klein, Rouan, César et Tàpies. Si quelques sculptures sont exposées dans les jardins, la plupart ponctuent les salles. “Par leur présence, j’ai voulu combattre le côté plat de la peinture”, explique Jean-Louis Prat.
Un parti pris
L’art contemporain et des techniques de création telles la photographie ou la vidéo par exemple, semblent quelque peu oubliés. “Je n’ai pas de prétention à l’exhaustivité. Chaque exposition est un parti pris et pour celle-ci j’ai choisi d’exposer des peintures, des sculptures et des dessins.” Deux artistes ont même reçu des commandes de la fondation : Antony Caro pour une sculpture intitulée Amsterdam Ladies, et Lucian Freud pour un grand format, After Cézanne 2000.
“J’ai souhaité savoir pourquoi le corps est si maltraité, pourquoi il devient un autre objet au XXe siècle. Comment a-t-on pu penser que les corps pouvaient être malmenés ? Comment a-t-on osé transgresser les codes, non pas de la bienséance, mais de la culture artistique ? Les raisons de ce bouleversement sont complexes et multiples. L’apparition de la photographie a obligé la peinture à se démarquer. L’influence du Cubisme et du Surréalisme a été également prépondérante. Les guerres et leurs cortèges de corps déchiquetés, enfin, l’émergence du communisme, l’effondrement des religions, sont autant de bouleversements qui ont mis l’artiste face à d’autres mondes.”
Le nu, essentiellement féminin, est alors un sujet en constant renouvellement au XXe siècle. “Ces œuvres sont autant de ruptures, affirme Jean-Louis Prat. Qu’il s’agisse des œuvres de Vlaminck, Rouault, Van Dongen ou Baselitz, toutes marquent la fin d’un tabou.” Avec l’émergence du corps dans le nu, surgit une nouvelle idée de la beauté. “Le nu va connaître des bouleversements esthétiques qu’aucun d’entre nous n’avait imaginés jusqu’alors. La notion de beauté idéalisée, convention des siècles passés, disparaît peu à peu... chaque créateur instaure désormais, à sa manière, et dans la plus grande liberté, une représentation du corps, fort éloignée de ce que nous connaissions et de ce que nous percevons.”
- LE NU AU XXe SIÈCLE, du 4 juillet au 30 octobre, Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul, tél. 04 93 32 81 63, tlj du 4 juillet au 30 septembre 10h-19h, puis du 1er octobre au 30 octobre 10h-12h30 et 14h30-18h. Catalogue édité par la Fondation Maeght, textes de Jean-Louis Prat et de Pierre Daix, 270 p., 150 illustrations en couleurs, 250 F broché, 300 F relié.
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L’art mis à nu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°108 du 30 juin 2000, avec le titre suivant : L’art mis à nu