Brésil

L’art du métissage

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2005 - 641 mots

À l’occasion de l’Année du Brésil en France, la riche collection de Beatriz et Mário Pimenta Camargo fait escale au Musée des beaux-arts de Rouen.

 ROUEN - Alors que le Grand Palais, à Paris, expose les masques, parures, bijoux, armes et figurines des Amérindiens du Brésil (lire le JdA n° 208, 4 février 2005), le Musée des beaux-arts de Rouen explore un autre aspect de ce pays sud-américain : la création artistique issue du métissage des cultures européennes, indigènes et africaines, depuis le XVIe jusqu’au XIXe siècle. Pour ce faire, le musée accueille, après le Palazzo Reale de Milan, 260 œuvres provenant de la collection de Beatriz et Mário Pimenta Camargo. « Ces deux collectionneurs ont sillonné le monde pendant près de quarante ans pour reconstituer le patrimoine brésilien et en donner une vision complète. Ils ne se sont donné aucune limite si ce n’est la qualité », explique Laurent Salomé, directeur du musée. Considérée comme l’une des plus importantes et des plus complètes du Brésil, leur collection compte quelque 4 000 pièces, meubles, objets d’orfèvrerie, porcelaines, peintures, dessins, livres et sculptures, qui offrent un beau panorama de l’art brésilien. L’ensemble donne à voir des pièces particulièrement originales : ces porte-cure-dents en argent représentant des personnages, oiseaux et fruits, véritables petits chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie brésilienne, ou ce balangandã, armature exécutée en argent à laquelle les esclaves accrochaient des fétiches, amulettes et ex-voto et qui avait une fonction mystique et religieuse, associant aux croyances africaines celles de la foi catholique.

Richesse des tropiques
Pour reconstituer l’ambiance de la demeure privée de Beatriz Pimenta Camargo – aujourd’hui veuve –, le commissaire Ângelo Oswaldo de Araújo Santos a scindé l’espace en de petits compartiments thématiques aux cimaises rouge sombre. Le parcours débute, évidemment, avec la découverte de la « terra nova », en 1500, par Pedro Álvares Cabral. Le navigateur est bientôt rejoint par quelques colons portugais qui, dès le siècle suivant, se lancent dans le commerce d’esclaves, décimant des tribus entières. Pendant le cours laps de temps où les Hollandais tentent de s’implanter au Brésil, dans la première moitié du XVIIe siècle, le gouverneur des Pays-Bas fait venir de nombreux artistes. Séduit par la richesse des tropiques, Frans Post, débarqué en 1637, réalise Village, Plantation de sucre et
Le fleuve qui traverse la plaine, tandis que Bonaventura Peeters immortalise des Indigènes se baignant à la cascade. Quant aux tableaux d’Albert Eeckhout, ils inspirent à la Manufacture des Gobelins la célèbre Tenture des Nouvelles Indes. À ces visions très exotiques du continent succèdent les œuvres de la dévotion religieuse imposée dans tout le pays par les jésuites, la colonisation portugaise étant en grande partie guidée par la ferveur catholique. En témoignent les figures particulièrement expressives de Saint Anne éducatrice, Saint Joseph, l’Immaculée Conception, sculptées en bois polychrome et doré, ou encore ce Saint Jean-Baptiste réalisé par Antônio Francisco Lisboa dit l’Aleijadinho (1738-1814), figure de proue du « baroque brésilien ». Constellées d’églises et de chapelles, les villes célébraient la foi catholique à travers des œuvres exubérantes et grandioses, tels ces anges et éléments d’architecture issus de la chapelle de la Fazenda da Jaguara. Réalisées dans un bois de couleur « braise », qui donna d’ailleurs son nom au Brasil, les pièces sculptées imposent 70 % d’humidité à l’espace d’exposition, recréant ainsi quasiment les conditions climatiques du pays !
Le Brésil acquiert son indépendance en 1822, après les guerres napoléoniennes et le transfert du gouvernement de Lisbonne à Rio de Janeiro. En trois siècles, profondément marqué par le métissage, l’art brésilien a su développer une créativité qui lui est propre, comme le démontre justement le Musée des beaux-arts de Rouen.

TROIS SIÈCLES D’ART BRÉSILIEN

Jusqu’au 17 juillet, Musée des beaux-arts de Rouen, esplanade Marcel-Duchamp, 76000 Rouen, tél. 02 35 71 28 40, www.rouen-musees.com, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-18h. Catalogue, Silvana Editoriale, Milan, 176 p., 29 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : L’art du métissage

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