Installés au nord de la mer Noire du VIIe au IIe siècle avant J.-C., les Scythes ont développé leur culture au contact du monde grec et des civilisations du Proche-Orient ancien. À travers 172 objets, épées, fourreaux, bijoux, appliques et ornements en or, et une mise en scène particulièrement soignée, le Grand Palais s’immisce dans la vie quotidienne et les rites funéraires du peuple scythe.
PARIS - “Ces gens ne construisent ni villes ni remparts, ils emportent leurs maisons avec eux, ils sont archers et cavaliers, ils ne labourent pas et vivent de leurs troupeaux, ils ont leurs chariots pour demeures : comment ne seraient-ils pas à la fois invincibles et insaisissables ?”, s’interroge Hérodote dans le livre IV de ses Histoires, premier témoignage détaillé sur les Scythes, ces guerriers nomades venus d’Orient. Ce peuple de culture orale a laissé derrière lui des kourganes, tertres funéraires abritant les sépultures de ses rois et comprenant un riche mobilier en or, que dévoile aujourd’hui, partiellement, le Grand Palais. Jean-Pierre Mohen, directeur du Centre de restauration et de recherche des Musées de France, rappelle que jusqu’à présent “le concept de ‘Scythe’ était perçu dans l’optique large d’un style artistique, et l’art des Scythes était synonyme de l’art des steppes ou de l’art animalier que l’on pouvait suivre à travers toute l’Europe centrale, depuis la mer Noire jusqu’à la Mongolie”. L’exposition du Musée Guimet (lire le JdA n° 121, 16 février 2001) associait ainsi toutes les cultures d’Asie centrale, d’Alexandre le Grand à l’an Mil, tandis que celle du Musée Cernuschi (lire le JdA n° 125, 13 avril 2001) évoquait l’art des nomades qui peuplèrent les steppes du VIe avant au IVe siècle après J.-C. : les Scythes mais aussi les Sauromates, les Grecs, puis les Sarmates. Le Grand Palais s’intéresse plus précisément aux habitants de Scythie, dont les territoires correspondent actuellement à ceux de l’Ukraine. Dans une atmosphère tamisée, sur fonds de cimaises rouges, scintillent les premiers vestiges en or provenant en majorité des tumuli funéraires, tel le costume d’une femme (IVe siècle). Reconstitué pour l’occasion, il est composé d’une toque ornée de cinq bandeaux horizontaux d’appliques estampées, d’une robe et d’un voile décorés, en bordures, d’appliques carrées.
Certaines pièces d’orfèvrerie sont mises en exergue par de grandes reproductions photographiques en noir et blanc et des cartels explicatifs. C’est le cas de la Plaque de Goryte (IVe siècle), en or martelé et de l’Épée et fourreau avec tête de sanglier (vers 330-300), représentant un cerf attaqué par un griffon et un lion. L’art des premiers Scythes se manifeste presque exclusivement par des figurations zoomorphes. Les cerfs couchés qui ornent une coiffure conique (VIIe-VIe siècle), le félin accroupi sur la poignée d’un miroir (VIe siècle) ou les têtes d’oiseaux – souvent des aigles – sur des plaques en or décorant de la vaisselle, portent la marque de cette tradition archaïque, qui pousse à son apogée l’art animalier des steppes. Sur les boucles de harnais, les fourreaux d’épée et les plaques de carquois, les aigles, léopards, cerfs ou chevaux se livrant de violents combats, ont été conçus de manière à exprimer le mouvement, propre au mode de vie du nomadisme.
Personnages fabuleux et métamorphoses
À l’image d’un Diadème (vers 350) représentant probablement Tabiti, principale déesse scythe d’après Hérodote, la femme est presque toujours représentée sous les traits d’une divinité. D’autres motifs comme la femme ailée, Scylla (mi-femme, mi-chien) ou les sirènes, attestent de la prédilection scythe pour les personnages fabuleux et les métamorphoses. Un certain nombre d’objets illustrent également l’influence du monde hellénique, comme l’ensemble d’ornements utilisés pour l’harnachement des chevaux figurant les travaux d’Héraclès (vers 350-300) ou la Coupe ornée de têtes de chevaux (Ve siècle), semblables à ceux de la frise du Parthénon.
Parfois un motif scythe est simplement rehaussé d’éléments grecs ; sur différentes coiffes se juxtaposent ainsi des volutes. Une des pièces les plus spectaculaires, tant par sa taille et son poids que par sa technique, reste le Pectoral (IVe siècle) découvert en 1971 au cœur de l’Ukraine dans le kourgane de Tolstaïa Moguila et qui intrigue toujours les spécialistes par l’étrangeté de son iconographie : que signifie la scène centrale où deux Scythes torse nu se disputent une peau de mouton ? Certains y ont vu le mythe de la Toison d’or, d’autres le symbole de la lutte entre la vie et la mort... Perchée sur un tertre funéraire reconstitué, une stèle représentant un guerrier garde la sortie d’un parcours intelligible, qui cerne au mieux ce que furent les cavaliers Scythes, un peuple définitivement “invincible et insaisissable”.
- L’OR DES ROIS SCYTHES, jusqu’au 31 décembre, Galeries nationales du Grand Palais, place Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, ouvert tlj sauf mardi, 10h-20h et 22h mercredi. Catalogue RMN, 352 p., 320 F.
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L’art des guerriers nomades
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : L’art des guerriers nomades