Il a construit des équipements collectifs et conçu des décors et costumes de théâtre, des tapis et des papiers peints, mais aussi des meubles en kit pour les sinistrés de la guerre.
Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Si les noms de Robert Mallet-Stevens ou de Pierre Chareau sont très connus, bien d’autres architectes-designers aujourd’hui oubliés ont participé au grand mouvement de l’Art déco. Parmi les artistes à redécouvrir, René Crevel (1892-1971), à ne pas confondre avec le poète surréaliste du même nom, a construit sa villa à Saint-Cloud à partir de 1926 et y a vécu jusqu’en 1963 – avec une interruption entre 1942 et 1944 car, raconte sa biographe dans le catalogue, il se trouva « rapidement en conflit avec l’occupant allemand ».
L’exposition que lui consacre dans cette même ville le Musée des Avelines, sous le commissariat de son directeur, Damien Chantrenne, montre son implication dans la refondation de l’architecture et du décor, avec « les deux axes que sont le confort et l’utopie ou ce qu’Edmond Labbé, dans sa conférence “Arts et techniques dans la vie moderne” (Paris, 1937), a très bien formulé lorsqu’il a affirmé que l’art et les techniques devaient être indissolublement liés ».
Alors que ses réalisations ont été nombreuses et sa carrière longue, depuis ses premiers travaux d’illustration en 1910 (il a obtenu son diplôme d’architecte en 1912) jusqu’aux dernières villas construites sur la Côte d’Azur à la fin des années 1960, René Crevel a été oublié après sa mort. La volumineuse biographie publiée en 2019 (éd. Main d’Œuvre, Nice) par Jane Otmezguine, membre du Comité René-Crevel chargée du catalogue raisonné, l’a remis à l’honneur.
Si plus de deux cents œuvres et documents présentés au Musée des Avelines permettent de comprendre l’importance de sa carrière, on peut regretter que nombre de ses constructions aient disparu. Sa villa moderniste de Saint-Cloud, tout comme le palais de l’Artisanat de l’Exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne (1937), qui était situé dans l’annexe de l’exposition à la porte Maillot et pour lequel il a reçu un diplôme d’honneur, ont été détruits. De ses grandes réalisations il ne reste aujourd’hui que la cité ouvrière des Laboratoires Debat à Garches (1939-1956), qui témoigne de son choix de concevoir, après 1937, des maisons individuelles douces à vivre, à la fois fonctionnelles et esthétiques : à Garches sont conservées les fresques de Clément Serveau (1954) et les allégories sculptées imaginées par Crevel et intitulées Jardinage et Jeux (dessins préparatoires de 1942-1943), des bas-reliefs ornant l’extérieur des bâtiments.
La première partie de l’exposition est consacrée à cette carrière d’architecte. Un grand projet d’aménagement urbain, la « Rive de Saint-Cloud », n’a pu être réalisé en raison de l’occupation allemande. Les dessins et aquarelles très aboutis de 1941 [voir ill.] montrent un contraste entre les bâtiments publics, modernistes, et les maisons individuelles inspirées de l’architecture rurale : en 1938, Crevel a participé à la création de la société Idées de France prônant une architecture régionaliste pour l’habitat individuel. Dès 1930, il avait imaginé des « autos-relais » modernistes pour les routes touristiques : construits de part et d’autre de la voie, les bâtiments, reliés par une passerelle, abritaient des espaces techniques et de repos, y compris des chambres d’hôtel. Le mobilier était conçu par Crevel lui-même.
Car l’architecte était aussi un décorateur et ensemblier exporté dans le monde entier, pan de son activité développé dans la salle suivante. Présentant ses créations à différents endroits de l’Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris, en 1925, il obtient plusieurs récompenses dans les domaines du textile, du vitrail et du papier peint. Il crée également des porcelaines et du mobilier. En 1945, il conçoit les « meubles montables S.O.S. » pouvant être livrés en kit aux sinistrés de la guerre avant de proposer, en 1946, des maisons préfabriquées pour la reconstruction (il sera primé au Salon des artistes décorateurs pour ce projet). Enfin, Crevel s’est investi dans le spectacle vivant dans les années 1920, comme costumier et décorateur, et a réalisé des affiches pour le théâtre et le cinéma. Il lui restait un peu de temps pour peindre des paysages, exercice intime d’un artiste attachant et fécond qui mérite ce coup de projecteur.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : L’architecte et décorateur René Crevel embellissait la vie de tous