Le Musée de l’Orangerie explore la peinture américaine mal connue des années 1930 et raconte ainsi un épisode de l’histoire des États-Unis.
PARIS - C’est difficile à croire, mais la peinture américaine ne commence pas avec Jackson Pollock... Certes, l’avènement triomphal de l’expressionnisme abstrait, qui a marqué les esprits, a projeté une ombre géante sur la production picturale antérieure à l’artiste aux États-Unis. Les toiles présentées à l’Orangerie permettent au public français de découvrir un pan moins connu de cet art. Et quelles toiles !
On ne peut qu’être impressionné par les prêts, dont certains n’ont rarement, voire jamais, quitté le sol américain. Indiscutablement, une de ces œuvres est sortie depuis longtemps du domaine artistique pour se transformer en patrimoine national : American Gothic de Grant Wood (1930). De taille moyenne (76 cm x 63 cm), l’œuvre est néanmoins monumentale. Au premier plan, un couple hiératique de fermiers – l’homme tient une fourche à trois dents comme une arme – et occupe pratiquement toute la surface. Au fond, une bâtisse de l’époque victorienne avec, sous le toit, une fenêtre en forme d’ogive de style néogothique. L’ensemble, d’une rigidité extrême, incarne les valeurs rurales immuables de l’Amérique profonde.
Les sombres années de la dépression
L’œuvre, réalisée un an après le krach boursier de 1929, ouvre l’exposition, dont le sous-titre, « L’Âge de l’anxiété », renvoie à l’époque de la grande dépression. De fait, la crise économique plonge une partie de la société américaine au-dessous de ce qu’on appellerait aujourd’hui le seuil de pauvreté. Les usines ferment et des millions de chômeurs se retrouvent sans abri. Les artistes posent dès lors un regard nouveau sur le « rêve américain », décrivant sans complaisance les interminables queues devant les soupes populaires, les villes écrasantes et déshumanisées et les paysages industriels dévastés. Curieusement, peu de tableaux ici montrent l’ampleur du désastre. Certes, le plus souvent ce sont des travaux sur papiers – dessins, gravures – ou des photographies qui ont le mieux décrit l’inhumanité des conditions de travail. On regrette toutefois l’absence de Ben Shahn, dont la peinture se consacre aux ouvriers engagés dans la lutte des classes.
En revanche, on trouve à l’Orangerie les principaux artistes qui développent au même moment, une autre option, celle de la peinture régionaliste. Refusant le présent oppressant, John Steuart Curry, Grant Wood et surtout Thomas Hart Benton – accessoirement professeur de Pollock – cherchaient à travers leurs travaux à se replier sur le passé agraire de l’Amérique. Benton, le plus populaire de ceux qui participent à ce qu’on appelle la « Scène américaine, » exalte l’authenticité d’un prétendu âge d’or rural. Meule de foin (1938) est une vision élégiaque de la nature américaine, avec ses paysans et ses vallées tout en rondeur.
Le New Deal soigne les artistes
Mais, le paysage artistique des années 1930 est ainsi, pour le moins, hétérogène. Loin d’une vision monolithique, « l’esthétique de la dépression » oscille entre la critique et la fascination. Malgré la crise, certains peintres restent encore sous l’emprise exaltante d’une modernité triomphante et n’abandonnent pas facilement la vision de l’homme qui, avec la machine, construit un univers radicalement nouveau. L’œuvre de Charles Sheeler, American Landscape, 1930, est un exemple parfait de ce paysage industriel – on y voit l’usine Ford à Michigan – peint avec des formes précises et des contours nets, à l’opposé des formes organiques et des lignes souples et harmonieuses de Benton. Les réformes économiques et sociales issues de la politique du New Deal, appliquée dès 1933, laissent croire à la possibilité d’une amélioration rapide de la situation de la population. Les artistes, pris en charge par le Welfare State (l’État providentiel), ne sont pas oubliés par cette « nouvelle donne ». Même si les ressources offertes restent maigres, elles permettent néanmoins à nombre d’entre eux de se consacrer à la création artistique d’une façon relativement libre. C’est également la première fois que l’État passe des commandes aux artistes, des grandes fresques d’inspiration historique, des décors pour des bâtiments publics.
Le parcours aborde ensuite la « Ville spectacle », avec les lieux de loisir – cinéma, music-hall – qui marquent la culture populaire américaine. Tout laisse à penser qu’il existe un lien entre ce besoin de distraction et l’inquiétude profonde face à la marche de l’histoire, de plus en plus menaçante. La Ville éternelle de Peter Blume, (1934-1937) met en scène une vision cauchemardesque de Mussolini.
À la sortie, deux œuvres majeures : le merveilleux Gas (1940) de Hopper et un Pollock (Sans titre, 1938-1941) qui laisse deviner déjà l’action painting à venir.
Commissaires : Judith. A. Barter et Laurence des Cars
Nombre d’œuvres : 65
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L’Amérique, de la dépression à la modernité
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 30 janvier 2017, Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, 75001 Paris, tél. 01 44 77 80 07, www.musee-orangerie.fr, tlj sauf mardi 9h-18h, entrée 9 €. Catalogue éd. Hazan et Musée d’Orsay, 200 p., 39 €.
Légende Photo :
Charles Sheeler, American Landscape (Paysage américain), 1930, huile sur toile, 61 x 78,8 cm, Museum of Modern Art, New York © 2016 Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°466 du 28 octobre 2016, avec le titre suivant : L’Amérique, de la dépression à la modernité