Pendant que la Villa Flora se refait une beauté en Suisse, ses prestigieuses collections de peinture d’Odilon, Redon, Vallotton, Bonnard, Van Gogh… font une escale remarquable à Paris.
Un retour aux sources, car nombre des soixante-quinze chefs-d’œuvre postimpressionnistes accueillis par le Musée Marmottan ont été achetés dans la Ville lumière au début du XXe siècle. Ces retrouvailles célèbrent le goût et l’action d’un couple de collectionneurs de Winterthur. Ensemble, ils firent bâtir un lieu de vie et de collection où famille, amis et artistes coulèrent des « Temps enchantés », sous-titre de l’exposition parisienne qui raconte une passion helvétique pour l’art contemporain de son temps.
Un couple, une passion
Deux personnalités sont indissociables de la Villa Flora et de la prestigieuse collection d’art moderne attachée au nom de cette demeure bourgeoise : Arthur Hahnloser et Hedy Bühler, nés respectivement en 1870 et 1873, à Winterthur, dans le canton de Zurich. En 1898, les jeunes gens se marient. Arthur ouvre son cabinet d’ophtalmologie, mais l’art est sa vraie passion qu’il partage avec Hedy. Adolescente, celle-ci pressait déjà ses parents de l’inscrire à des cours de peinture. Jugeant ses capacités en deçà de ses espérances, elle se tourna vers les arts décoratifs où elle réussit dans la confection de tissus et de jouets qui agrémentent encore la Villa Flora. Ses dispositions créatrices la prédestinent à devenir l’interlocutrice privilégiée des artistes familiers de la maison qui, sous son influence, se transforme périodiquement en atelier. Tous les mardis, le salon des Hahnloser résonne des débats passionnés d’un groupe de jeunes amateurs d’art à l’origine de la création, en 1916, du Kunstmuseum de Winterthur. Bonnard, qui assiste à l’inauguration du musée, séjourne à la villa. D’autres artistes y ont aussi leur quartier comme Maillol et Manguin qui peint plusieurs vues de la maison et du jardin. Tout aussi réussis sont les portraits de famille commandés à Félix Vallotton, en particulier celui des enfants Hahnloser, Hans et Lisa, datés de 1912. Mieux que tout autre témoignage, les tableaux peints à la Villa Flora restituent l’esprit des lieux. En cela, ils constituent le noyau dur de la collection.
Un écrin, une collection
Le Musée Marmottan, en accueillant un florilège des peintures de la Villa Flora, réunit deux maisons de collectionneurs. Celle de Winterthur était à l’origine une modeste demeure bourgeoise. Sa simplicité apparente plut tout de suite à Hedy Hahnloser qui en fit l’acquisition en 1898. Les jeunes mariés s’y installent aussitôt. En revanche, il faut attendre 1908 et le transfert du cabinet d’ophtalmologie d’Arthur dans l’hôpital voisin qui vient d’ouvrir pour que le couple Hahnloser s’adonne à son penchant de collectionneur. Un salon « sur mesure » est alors aménagé pour accueillir les premières acquisitions, suivi en 1926, d’une salle à éclairage zénithal, tous deux construits par le duo d’architectes locaux Robert Rittmeyer et Walter Furrer.
Natifs de Winterthur, Hedy et Arthur Hahnloser se tournent d’abord naturellement vers l’art suisse. En 1907, leurs rencontres avec Giovanni Giacometti et Ferdinand Hodler décident de leurs premières acquisitions. Du second, Le Cerisier revêt une importance particulière pour les Hahnloser qui le considéraient comme l’œuvre fondatrice de leur collection. Elle atteste, parmi d’autres achats précoces, de l’intuition artistique de nos collectionneurs en herbe qui font encore mouche en se rendant dans l’atelier parisien de Vallotton, en 1908. Ils y achètent aussitôt la Baigneuse de face, premier d’une longue série d’achats auprès de ce Français d’adoption qui acceptera de les guider dans la jungle du marché de l’art parisien. Il leur signale les galeries d’art moderne à ne pas manquer, celles de Durand-Ruel, Vollard ou Bernheim-Jeune chez qui Vallotton achète pour le compte des Hahnloser leur premier Bonnard, L’Orage à Vernouillet (1908), puis leurs premières œuvres de Vuillard, Coin d’atelier, et de Ker-Xavier Roussel, Silène, ivre sur l’âne (1906). En quelques années, les Hahnloser réunissent un ensemble unique de peintures nabis auquel il faut associer les sculptures de Maillol collectionnées à partir de 1913.
« Vivre notre temps »
À la cacophonie des salons parisiens, les Hahnloser préféreront toujours l’intimité des galeries d’art. C’est par exemple chez Druet et Berthe Weill que le couple a l’occasion de voir ses premiers tableaux fauves. Henri Manguin qu’ils rencontrent à Paris, en 1910, leur permet de rentrer en contact avec les autres membres du groupe dont Marquet et Matisse qui entrent à leur tour dans la collection. De ce dernier, dont la cote est déjà élevée, le couple de collectionneurs se contente d’abord d’œuvres sur papier suivies d’huiles de petit format, à l’instar de Nice, cahier noir, daté de 1918.
Avec les toiles de Matisse, précédées de celles de Bonnard, la lumière du Midi envahit l’intérieur de la maison de Winterthur. À partir de 1923, les Hahnloser partent l’hiver en villégiature dans leur nouvelle maison cannoise. S’y retrouvent les amis fidèles comme Bonnard et Vallotton qui peindront dans les environs des tableaux inoubliables tels que la Promenade en mer (1924) pour l’un et L’Esterel dans la baie de Cannes (1925) pour l’autre. Ce dernier tableau testamentaire fut acheté peu après le décès du peintre en 1925. Avec Bonnard, Vallotton est l’artiste le mieux représenté à la Villa Flora. Son art y figure sous toutes ses formes, même les plus inattendues, à l’image de La Viande et les Œufs, nature morte de 1918. Cette exhaustivité est le signe d’une admiration authentique et d’une amitié durable pérennisées dans la monographie sur le peintre et ses amis que publie Hedy, en 1936. Cette année-là, Arthur décède le 17 mai et l’activité de collectionneur du couple cesse.
De 1905 à 1936, les Hahnloser réunirent une centaine de peintures et sculptures et plus de deux cents œuvres sur papier. Parmi elles, des toiles emblématiques de Manet, Renoir, Cézanne, Van Gogh et Odilon Redon, collectées par le couple désireux d’illustrer les filiations étroites entre les précurseurs de l’art moderne et les peintres vivants qu’ils affectionnaient. Ce pont entre les générations d’artistes illustrait la nécessité pour Hedy de concrétiser sa maxime : « Vivre notre temps », une manière pour les Hahnloser de ne pas céder aux sirènes des modes éphémères. À leurs yeux, le cubisme, totalement absent de la collection, en était une parmi d’autres. Ce manque, que certains pourraient juger coupable, souligne la cohérence de la collection.
La réunion temporaire à Paris des chefs-d’œuvre de la Villa Flora tente de transposer au Musée Marmottan l’esprit d’une collection privée qui porte la marque indélébile de ses concepteurs. Les nombreuses photographies anciennes qui illustrent le catalogue de l’exposition montrent l’omniprésence des tableaux. Cependant, la maison de Winterthur n’a jamais été un musée dans l’esprit de ses occupants. « La “Flora” n’a pas du tout l’aspect d’une collection, mais plutôt d’une grande maison-atelier », remarquait à ce propos le critique d’art Manuel Gasser lors d’une visite en 1945. Il ajoutait que « les tableaux eux-mêmes n’ont pas l’air d’objets de collection, mais de travaux au sens propre du terme ». Cette proximité heureuse avec les œuvres d’art est à l’image du couple de collectionneurs dont la générosité était honorée de l’amitié sincère des artistes. Après le décès d’Hedy en 1952, ses enfants, Hans et Lisa, continuèrent d’accueillir les amateurs du monde entier désireux de découvrir les trésors de la Villa. En 1995, les petits-enfants – qui ont créé entre-temps une fondation afin de maintenir vivant l’héritage – l’ouvrent au public. La Villa Flora, en travaux, prête pour la première fois, en France, ses chefs-d’œuvre qui retourneront à demeure au terme d’une restauration que l’on espère respectueuse de l’atmosphère des lieux.
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La Villa Flora envoie ses chefs-d’œuvre chez Marmottan
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 7 février 2016. Musée Marmottan Monet. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h.
Tarifs : 11 et 6,5 €.
Commissaires : Angelika Affentranger-Kirchrath et Marianne Mathieu.
www.marmottan.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°683 du 1 octobre 2015, avec le titre suivant : La Villa Flora envoie ses chefs-d’œuvre chez Marmottan