Sophie Calle joue depuis quelques années avec la vie, la sienne, celle des autres, qu’elle traque au gré de filatures ou de fouilles organisées. Ses extravagances ont inspiré l’écrivain américain Paul Auster, avant que l’artiste ne décide de lui rendre la pareille. Le Centre national de la Photographie accueille cet art peu visuel, qui nécessite une lecture attentive.
PARIS. Mettre sa journée sous le signe d’une lettre de l’alphabet prise au hasard, voilà une idée originale. Dans Léviathan, Paul Auster écrit, au sujet de Maria, qu’“elle observait des divisions analogues fondées sur les lettre de l’alphabet. Des journées entières s’écoulaient sous le signe du b, du c, ou du w”... Après que l’auteur eut introduit certaines manies de Sophie Calle dans le même ouvrage, l’artiste s’est décidée à se prendre au jeu à son tour. Elle a ainsi passé une journée au cimetière sous le signe du “c”, ou un week-end en Wallonie sous celui du “w”. Pourtant, la littérature n’est pas la vie, et il est bien difficile de respecter au pied de la lettre ce type de règle du jeu. La perfection d’un exercice de style littéraire – à l’image de la Disparition de Georges Perec, ouvrage dans lequel la voyelle e est absente – est difficile à atteindre dans la réalité ; pourtant, c’est elle qui fait tout son sens. Sophie Calle s’en approche dans son régime chromatique, une série de repas dont tous les aliments ont la même couleur. Ces menus, photographiés les uns après les autres, ne sont pas sans évoquer formellement les Compositions décoratives (1976) de Christian Boltanski. On se souvient qu’en 1974, ce dernier avait présenté sous vitrines, au Centre national d’art contemporain, un Inventaire des objets ayant appartenu à une femme de Bois-Colombes, des objets quotidiens, du fauteuil au tube de cirage, de la table au balai. Au Centre national de la Photographie, c’est un aspirateur que Sophie Calle expose dans une vitrine, au milieu de ses autres cadeaux d’anniversaire, un rituel qui s’est poursuivi de 1980 à 1993. Après ses comptes rendus voyeuristes, ses séries des Hôtels (1983), de la Suite vénitienne (1980), du Détective (1981), l’exposition se termine avec le Gotham Handbook, un mode d’emploi new-yorkais de Paul Auster à l’usage de Sophie Calle. La démonstration in vivo qu’il n’est vraiment pas facile d’être un personnage de roman.
Jusqu’au 2 novembre, Centre national de la Photographie, Hôtel Salomon de Rothschild, 11 rue Berryer, 75008 Paris, tél. 01 53 76 72 32, tlj sauf mardi 10h-19h. Projection du film No sex last night de Sophie Calle et Greg Shephard à 14h30 et 16h30. Édition chez Actes Sud d’un coffret de 7 livres de Sophie Calle, Doubles-Jeux, 624 p., 278 F.
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La vie mode d’emploi
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°67 du 25 septembre 1998, avec le titre suivant : La vie mode d’emploi