Art contemporain

La trahison technique selon Neil Beloufa

Par Magali Lesauvage · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 501 mots

Dans une exposition volontairement confuse à Sérignan, l’artiste digère les rebuts de la société de consommation actuelle pour en montrer l’absurdité.

Sérignan (Hérault). Avec un titre, « Développement durable », aussi vague et creux qu’un argument marketing, l’exposition de Neïl Beloufa au Musée régional d’art contemporain (Mrac) pouvait laisser craindre un certain ennui. Voire un état d’esprit moralisateur – le pire qui puisse arriver à un artiste. Il n’en est rien. À condition toutefois que le visiteur se laisse prendre aux jeux auxquels Neïl Beloufa l’invite, et surtout en comprenne les règles. Car, si l’on peut reconnaître à l’artiste, exposé en 2016 au MoMA de New York et invité à la Berlinale (festival de cinéma à Berlin) en 2017, un talent pour la facétie, force est de constater que son travail apparaît de prime abord de manière brute et confuse.
 

Nespresso englué

Mêlant les médiums comme il a cumulé les formations (de CalArts en Californie au Fresnoy à Tourcoing en passant par les Beaux-Arts et les Arts déco à Paris), l’artiste âgé de 32 ans conçoit ses expositions comme des lieux de production, des usines de fabrication « do it yourself » et participatives. Raillant l’industrialisation de l’art, il réutilise les matériaux de la vie quotidienne dans une forme d’improvisation que l’on retrouve dans ses films, réalisés avec des acteurs amateurs. Présentés à Sérignan dans des dispositifs contraignant le spectateur à une certaine distance, Domination du monde (2012) et Monopoly (2016) montrent chacun un groupe d’individus révélant, lors de jeux de rôle maladroits et absurdes, les rouages du pouvoir, politique ou économique. Une épure narrative qui fait contrepoint au bric-à-brac low-tech et imposant exposé dans la salle du centre d’art plongée dans l’ombre. Panneaux rétro-éclairés tapissés d’emballages à pizza et banquettes « capsules » dotées de prises USB forment un mobilier futuriste et délirant, que l’on croirait tout droit sorti d’une usine de recyclage à déchets contemporains. Reliés les uns aux autres par des câbles électriques laissés volontairement apparents, ils plantent le décor d’une époque ultra-connectée et malade de sa surproduction, au style informe. Celui, notamment, que symbolise la machine Nespresso, objet de grande consommation donnant l’illusion d’un design haut de gamme, dont Beloufa saisit plusieurs exemplaires dans une matière gluante et organique. Incitant le visiteur à appuyer sur un interrupteur inutile ou à ouvrir une trappe vide, l’artiste pointe dans ses objets ce qu’il nomme la « trahison technique », avec une autodérision qui prend à rebrousse-poil un formalisme lisse pour assumer une matérialité trash et artificiellement datée.

Dans ce jeu d’associations, Neïl Beloufa assume le rôle de maître d’œuvre au sein d’une équipe de collaborateurs qui prend des airs de collectif. Un esprit de groupe qui l’a amené à créer en 2015 en banlieue parisienne une entreprise éphémère de coopération d’artistes baptisée « Occidental Temporary ». Celui aussi qui l’a incité, pour l’exposition dont le Palais de Tokyo à Paris lui confie le commissariat en 2018, à convoquer des artistes autour du thème de la guerre, lieu par excellence de la confrontation entre la machine et l’humain.

 

 

Neïl Beloufa, Développement durable,
jusqu’au 22 octobre, Musée régional d’art contemporain, 146, av. de la Plage, 34410 Sérignan.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : La trahison technique selon Neil Beloufa

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