La terre, cette planète à l’abandon

Valence (Drôme). Le sujet est à la mode. Nombreux sont les artistes inspirés par une actualité peu réjouissante, qui imaginent un monde après la disparition de l’humanité. Le propos du commissaire scientifique Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman, ne s’arrête pas à la période contemporaine. Le titre de l’exposition – également le titre du livre écrit par Schlesser, L’Univers sans l’homme (2016, Hazan) – reprend l’expression employée par Charles Baudelaire au sujet du Salon de la peinture de 1859. Paradoxalement, le poète y critiquait les peintres réalistes qui, en représentant le monde froidement, « sans filtre », abandonnaient ce qui est essentiel chez l’être humain, à savoir son imaginaire créatif.

Les œuvres qui accueillent le spectateur abordent avant tout le spectacle de la nature indomptable. Elles gardent probablement le souvenir de la catastrophe qui a marqué pour longtemps l’imaginaire collectif : le séisme qui a frappé Lisbonne en 1755. Si cet événement est illustré directement ici par une gravure anonyme, la toile de Pierre-Henri de Valenciennes, Éruption du Vésuve arrivée le 24 août de l’an 79 de J.-C. sous le règne de Titus (1813, voir ill.) est plus ambiguë. Cette mise en scène spectaculaire indique que, si la nature garde un caractère effrayant par son aspect imprévisible, sa puissance tellurique est aussi une source d’émerveillement. En d’autres termes, elle condense les deux composants du sublime, ce sentiment de « frisson délicieux » (Denis Diderot), « inventé » au XVIIIe siècle. Remarquons la fascination qui se développe à la même période pour les ruines – voir les fouilles à Herculanum et à Pompéi.

Pour autant, le regard mélancolique que l’on pose sur ces lieux désertés et travaillés par le temps n’a rien en commun avec la désolation provoquée par d’autres lieux démolis par l’homme. Les photographies magnifiques et terrifiantes de Sophie Ristelhueber du désert de Koweït, marqué de traces des bombardements, sont parmi les nombreux rappels de la capacité destructrice de plus en plus sophistiquée que développe l’industrie de la guerre. D’autres représentations, plus poétiques, ont pour cadre un espace urbain qui semble abandonné. Ainsi, les villes faussement antiques de Giorgio De Chirico, dans lesquelles le spectateur n’est pas invité, condensent le potentiel poétique du monde immobile. De son côté, Eugène Atget réalise des clichés de Paris vidé de toute présence humaine. Ailleurs, on retrouve la nature mais cette fois-ci, inaccessible, glaciale ; l’emblème en est le beau tableau d’Alexandre Sergejewitsch Borisoff, Les Glaciers, mer de Kara (1906). Ailleurs encore, c’est l’avènement de l’intelligence artificielle qui obligera l’homme à faire le choix entre progrès et aliénation, entre utopie et dystopie (Oryx + Crake, Gloria Friedman, 2003). Le parcours s’achève sur un voyage cosmique, une envolée dans l’inconnu et dans l’invisible, depuis toujours le graal artistique. Une magnifique toile d’Anna-Eva Bergman –  Terre ocre avec ciel doré, 1975 – n’est pas de trop pour y amener le spectateur.