ÉCOUEN
Avec l’exposition « Le renouveau de la Passion », le Musée d’Ecouen revient sur l’importance de la sculpture sacrée dans le développement de la Renaissance française et l’éclosion de l’art classique.
Écouen. La Renaissance française, une respiration entre le pieux Moyen-Âge et un Grand siècle de droit divin ? La prégnance de François Ier, pour la première Renaissance, puis les grandes commandes royales des années 1540 laisseraient penser que l’art religieux n’a pas eu droit de cité dans la construction de ce nouveau langage. Avec « Le renouveau de la Passion », le Musée national de la Renaissance donne une autre vision de cette décennie charnière, que l’historien de l’art Henri Zerner avait reconnu comme le lieu d’invention du classicisme. Autour de deux foyers, Chartres et Paris, et de deux artistes, François Marchand et Jean Goujon, le parcours propose de réévaluer l’importance de la sculpture religieuse dans les années 1540.
C’est un « heureux alignement de planète » qui permet cette incursion dans l’art religieux de la seconde Renaissance française, selon Guillaume Fonkenell, conservateur du Musée d’Écouen : une série de restaurations a dépoussiéré cette production sacrée. Partagés entre le Louvre et Chartres, ce sont en premier les reliefs de François Marchand pour l’église de l’abbaye Saint-Père qui ont bénéficié de restauration. Au Louvre, ces reliefs ont également été restaurés. L’ouverture du Louvre-Lens a aussi été l’occasion de restaurer les bas-reliefs parisiens présents dans la seconde partie de l’exposition.
Mal connue, cette production sculpturale est un sujet d’étude que l’histoire de l’art est loin d’avoir épuisé. Les deux figures principales de l’exposition en témoignent : Jean Goujon, s’il est bien identifié, n’a pas la renommée des grands sculpteurs italiens contemporains ; François Marchand reste quant à lui méconnu, avec une carrière parcellaire, faute d’archives sur son activité.
Le travail sculptural de François Marchand, souvent réduit à l’adaptation de modèles italiens – circulant par la gravure ou les plaques de bronze – s’avère plus réfléchi. La première salle du parcours établit la généalogie des modèles dans lesquels le sculpteur orléanais puise pour l’iconographie de ses bas-reliefs et, en premier lieu Raphaël, représenté par une copie de la tenture de l’Acte des Apôtres. Si certaines filiations sont évidentes, l’exercice tend à montrer que le sculpteur diversifie ses sources d’inspiration au sein d’une même œuvre et en subvertit parfois la signification première. Ainsi, un relief longtemps reconnu comme la Mort d’Ananie, grâce à l’identification de la gravure dont sont tirées les figures, est enrichi d’éléments iconographiques qui rendent cette interprétation peu probable. Encore en discussion, l’identification difficile de ce thème montre l’importance du message dans cette sculpture sacré.
Dans une période où les idées de Martin Luther essaiment dans toute l’Europe, la production de sculpture sacrée dans les années 1540 puise ses thèmes dans des textes apocryphes, que le protestantisme naissant souhaite rendre obsolète. Réaffirmant l’importance des thèmes populaires contenus dans ces textes, cette sculpture devient un art où le message prime sur tout le reste, donnant lieu à des reliefs denses. Chaque centimètre carré y est historié, offrant un commentaire, un ajout, ou un contrepoint à la scène principale. L’un des reliefs reconstitués par le restaurateur de sculptures Olivier Rolland offre ainsi la vision simultanée des martyrs de saint Pierre et saint Paul, dans un luxe de détails et de références. L’iconographie complexe ignore d’ailleurs le point de vue du spectateur, dans un art du message pour le message : perchés en haut du jubé de l’église Saint-Père, cet empilement sémantique avait peu de chance d’être compris par les fidèles.
Dans la seconde partie du parcours, sont présentés les reliefs du jubé de deux églises parisiennes, Sainte-Geneviève, aujourd’hui disparue, et Saint-Germain l’Auxerrois. Jean Goujon réalise le programme décoratif de cette dernière. L’élément central, une représentation de la Déploration du Christ, est significatif des évolutions qu’il introduit : une sculpture fluide, dépouillée, qui renonce aux détails anecdotiques, dont la partie en relief était à l’origine couverte de feuille d’or. Cette évocation de la couleur, dorée ou bichrome, sur les reliefs de Sainte-Geneviève, laisse entrevoir l’aspect de ces sculptures dans leur contexte de création.
L’effort constant de recontextualisation est l’un des points forts de cette exposition, qui présente presque exclusivement des œuvres conçues pour des édifices religieux. Mais l’église d’aujourd’hui et celle de 1540 sont deux lieux bien différents : les trois grands groupes de reliefs mentionnés précédemment ornaient les jubés, éléments de séparation entre le chœur des fidèles et celui des religieux. Une cloison qui faisait de l’église un lieu compartimenté et assombri : c’est dans cette ambiance architecturale qu’il faut replacer ces œuvres. Ces spécificités architecturales, ainsi que l’usage de nombreuses techniques de reproduction (de l’estampage à l’impression 3D) pour réunir des ensembles dispersés et donner des points de comparaison aux œuvres présentées, permettent de s’approcher au plus près du contexte de ces grandes commandes religieuses.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : La sculpture religieuse en France dans les années 1540