Le Musée de Cluny, à Paris, présente avec brio un art médiéval slovaque totalement inédit en France.
PARIS - Peine perdue. Ne cherchez pas dans vos traditionnels manuels d’histoire de l’art : vous ne trouverez guère de référence à l’art médiéval slovaque et encore moins à l’un de ses artistes les plus talentueux, Maître Paul de Levoca, actif au tout début du XVIe siècle.
Arrière-pays rural du royaume de Hongrie, alors aux mains de la dynastie lituanienne des Jagellon, les terres qui constituent l’actuelle Slovaquie – un jeune État créé en 1993 – n’ont jamais véritablement suscité l’intérêt pour leurs productions artistiques, tout du moins au-delà de l’Europe centrale. Cette longue ignorance s’est muée en chance pour le patrimoine slovaque, comme le souligne Xavier Dectot, l’un des commissaires de cette exposition : « Les retables ont été rarement détruits et n’ont pas subi les restaurations hasardeuses du XIXe siècle. Et grâce à cette situation marginale, ils ont aussi été préservés des pillages d’églises qui ont touché certains pays d’Europe de l’Est. » C’est donc cet art authentique et totalement inédit en France qui est aujourd’hui présenté, en une soixantaine d’œuvres, dans les anciens thermes du Musée de Cluny, à Paris. Organisée en partenariat avec la Galerie nationale slovaque de Bratislava (Slovaquie), l’exposition donne à voir quelques pièces qui ont obtenu un bon de sortie exceptionnel des églises dans lesquelles elles sont encore conservées.
Modernité inattendue
Le visiteur sera d’abord surpris par quelques traits singuliers de cet art exclusivement religieux. Les sculptures, souvent monumentales, se caractérisent par une certaine opulence – notamment grâce à la persistance d’une polychromie – mais aussi, pour certaines d’entre elles, par une modernité inattendue dans ce foyer provincial. En témoigne la Vierge d’Annonciation de Velky Biel (vers 1480-1490, Galerie nationale de Bratislava), dont le drapé et la posture rappellent les gravures de l’Alsacien Martin Schongauer (vers 1450-1491). Si la région, riche de mines d’or et d’argent, ne joue pas un rôle politique de premier plan, elle est alors peuplée de manière cosmopolite, entre noblesse magyare, populations slaves et commerçants germaniques attirés par cette position de carrefour. Presbourg, l’actuelle Bratislava, n’est en effet située qu’à quatre-vingts kilomètres de Vienne et à deux cents de Buda, la brillante capitale du prince humaniste Matthias Corvin, mort en 1490. Autant d’influences qui ont nourri les artistes locaux. Les quelques pièces réunies pour illustrer l’art de Maître Paul, identifié comme étant Paul Schnitzer, le plus brillant d’entre eux, puisent à une autre source, celle du sculpteur de Cracovie, Veit Stoss (1448-1533). Alors que de nombreuses zones d’ombre demeurent sur la carrière de Maître Paul, actif à Levoca pendant plusieurs dizaines d’années où il sculpte notamment le retable de la cathédrale, les spécialistes voient dans certaines de ses sculptures des citations directes de Stoss. L’impressionnant Crucifix de Kežmarok (vers 1510-1520, église Sainte-Croix), contrepoint parfait au petit Calvaire de Bardejov (1520-1530, église Saint-Egidius), témoigne par ailleurs d’une manière très germanique de travailler sur la tension de l’anatomie du Christ. Conçues dans la majeure partie des cas pour des retables, ces sculptures y étaient associées à des panneaux peints. Si les fonds d’or à brocarts dominent encore cette peinture du gothique tardif, certains panneaux se distinguent par leur singularité, comme celui provenant de Banska Stiavnica (Adoration des Mages, vers 1506, Palais des beaux-arts, Lille) avec sa perspective géométrique très maîtrisée, qui est aussi l’une des rares œuvres slovaques recensée dans les collections françaises.
Jusqu’au 10 janvier 2011, Musée de Cluny, Musée national du Moyen Âge, 6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 16, tlj sauf mardi, 9h15-17h45, www.musee-moyenage.fr. Catalogue, 112 p., 118 ill., éd. RMN, 28 euros, ISBN 978-2-7118-5766-1.
Commissariat : Dušan Buran, conservateur des collections médiévales, Galerie nationale slovaque, Bratislava ; Xavier Dectot, conservateur, Musée de Cluny ; Jean-Christophe Ton-That, chargé d’études documentaires, Musée de Cluny
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La révélation slovaque
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : La révélation slovaque