Presque toujours délaissée en faveur de manifestations plus spectaculaires du génie français – l’enluminure ou le vitrail –, la gravure de la Renaissance française est encore très méconnue. D’où le grand intérêt de l’exposition organisée conjointement par la Bibliothèque nationale de France et le Grunwald Center for the Graphic Arts.
PARIS - Marianne Grivel et Henri Zerner ont réuni deux cents pièces du XVIe siècle, provenant du Cabinet des estampes de la bibliothèque parisienne, qui révèlent une pratique plus intéressante dans sa veine populaire et politique que, à quelques exceptions près, dans ses ambitions artistiques.
Écrasée par les réalisations d’un Mantegna ou d’un Raimondi en Italie, de Dürer en Allemagne ou de Hyeronimus Cock en Flandres, la gravure, expression relativement nouvelle, n’émerge que lentement des techniques primitives pour s’aventurer dans la reproduction parfois maladroite de modèles souvent excellents.
L’exposition souligne fortement la dualité de sa fonction dans la complexe société française du XVIe siècle : d’une part, son principe fondamental de reproduction multiple permet, depuis la fin du Moyen Âge, la circulation rapide d’une imagerie d’abord religieuse, puis politique ou ornementale, le tout à des fins plus pratiques qu’esthétiques.
D’autre part, l’exemple italien, qui interprète tous les aspects de l’œuvre peinte et innove techniquement – avec la pratique de l’eau-forte développée par Parmesan –, se cristallise dans l’expérience des graveurs du décor de Fontainebleau : une estampe à faible tirage, au sujet plus personnel destiné à l’amateur érudit. Des graveurs au métier solide comme le Bourguignon Jean Duvet ou l’Angevin René Boyvin tentent de concilier ces deux pôles dans leurs ateliers.
Une gravure populaire et savoureuse
Cette divergence, flagrante dans le parcours de l’exposition, impose une constatation : la gravure française populaire est toujours savoureuse, empreinte d’une vitalité qui appelle une comparaison facile avec Rabelais : du Coq, emblème de bon conseil, à l’œil vif et au dessin vigoureux jusqu’à Goguelu et son chat, tellement symbolique du dynamisme inventif des imagiers de la rue Montorgueil, ces gravures sur bois montrent un sens de la lumière, de la vie, plus caractéristique certainement d’un esprit créateur français que les burins consciencieux des disciples de l’École de Fontainebleau.
Elle semble conduire naturellement à cet épanouissement de la gravure politique, dont l’exposition offre de précieux témoignages : le premier "placard", affiche célébrant en 1527 les fiançailles de François 1er et d’Éléonore d’Autriche, les épisodes des guerres de religion ou Le Départ des espagnols, qui a fixé pour des générations d’écoliers le portrait bonhomme d’Henri IV.
Face à cette veine talentueuse, la gravure "artistique", qui souffre des comparaisons obligatoires avec ses homologues italienne ou flamande, mettra plusieurs générations à s’affirmer : les œuvres réunies retracent cette lente marche, depuis les œuvres encore fantaisistes de Jean Duvet ou les corps nus de Juste de Juste, presque un siècle après Castagno, jusqu’à l’École de Fontainebleau : là s’impose la maîtrise des Italiens (avec Antonio Fantuzzi gravant des scènes du Primatice), tandis que La Mise au tombeau de Jean Cousin enrichit notre approche traditionnelle du peintre.
Avec le Lorrain Jacques Bellange (actif de 1595 à 1616), la gravure atteint toute sa plénitude et peut se présenter sous plusieurs états : si Diane et Orion rappelle encore le temps de Fontainebleau, Les Trois Marie au tombeau ou l’Adoration des Mages répondent parfaitement, par la perfection de leurs jeux techniques, à la demande subtile de l’amateur de gravures.
"La Gravure française à la Renaissance", Bibliothèque nationale de France, jusqu’au 10 juillet 1995.
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La Renaissance gravée dans les mémoires
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : La Renaissance gravée dans les mémoires