LISBONNE / PORTUGAL
Lisbonne présente une exposition de l’artiste suisse qui, vivant au Guatemala, est longtemps restée à l’écart du monde de l’art.
Lisbonne. Parmi ceux, nombreux, à avoir découvert Vivian Suter (née en 1949 à Buenos Aires) lors de la 14e édition de la Documenta, qui s’est tenue en 2017 simultanément à Cassel et Athènes, figure Sérgio Mah. Le directeur adjoint du Musée d’art, architecture et technologie (Maat), à Lisbonne, gardait en tête la vision de ses toiles colorées et sans cadre. Peu après sa nomination, à l’été 2023, il a donc proposé à l’artiste une exposition dans la galerie ovale du musée. Cet espace de 1 200 m2 se caractérise, comme son nom l’indique, par sa forme oblongue. On y accède par une rampe qui en épouse l’ellipse, tout en remarquant la hauteur spectaculaire du plafond. Située dans la partie centrale contemporaine du Maat, cette galerie permet la présentation d’œuvres de grand format. Ce n’est pas le cas des peintures de Vivian Suter, qui sont à échelle humaine. Mais l’exposition en réunit plus de 500, dans un accrochage dense que l’artiste a déjà expérimenté, notamment au Musée Reina-Sofía, à Madrid (2021-2022).
Tapissant les murs, suspendues dans l’espace où elles semblent libérées de la pesanteur, les toiles proposent un paysage en trois dimensions. Certaines sont disposées les unes derrière les autres sur de grands racks en bois, tandis que plusieurs, empilées au sol, forment un épais matelas. Le regard passe d’une silhouette animale stylisée à une composition géométrique, d’une touche épaisse à un jeu de transparences, d’une abstraction gestuelle à des lettres tracées en capitales. Parfois la peinture recouvre toute la surface. La palette d’ocres, de bruns et de jaunes évoque des pigments naturels, mais des tons de bleu, de vert, de violine, la rapprochent de l’expressionnisme allemand. Les toiles ne comportent ni titre, ni date, ni signature. Aucun sens d’accrochage n’est non plus spécifié.
La scénographie évoque volontairement l’environnement de travail que constitue pour la peintre sa maison ouvrant sur un jardin tropical. En 1983, Vivian Suter a en effet quitté la Suisse pour le Guatemala où elle s’est installée avec sa mère Elisabeth Wild (1922-2020), également artiste, au bord du lac Atitlán, très loin du monde de l’art – lequel a d’ailleurs failli l’oublier. Jusqu’à ce qu’Adam Szymczyk, à l’époque directeur et conservateur en chef de la Kunsthalle Basel, ne retrouve sa trace. Troublé par l’originalité d’une pratique picturale poursuivie en autarcie, il a mis Suter sur le devant de la scène, notamment lors de la 14e Documenta dont il fut le directeur artistique.
Si elle se déplace à présent fréquemment, elle vit toujours en Amérique centrale. À la suite de deux tempêtes qui ont violemment fait intrusion dans son atelier, en 2005 et 2010, et endommagé ses toiles, elle a décidé de faire avec les éléments et déplacé ses châssis dans le jardin. Certaines peintures portent donc la trace de gouttes de pluie, d’empreintes animales (son chien Disco a donné son titre à l’exposition), ou de débris de feuilles qui y sont restées collées. Sans ériger pour autant cette symbiose avec la nature en principe, encore moins en système, elle qui a les règles en horreur. Elle peint simplement en fonction de l’humeur du jour, de ce qu’elle perçoit de l’atmosphère. Aucune toile ne ressemble à l’autre, même si elles sont apparentées par la spontanéité et l’énergie qui en émane. « Le travail de Vivian s’est développé pendant des années en toute indépendance, sans stratégie de séduction ; on a découvert d’un coup cette œuvre pléthorique qui n’est pas marquée par l’histoire », relève François Piron, commissaire au Palais de Tokyo, qui prépare le second volet de cette exposition à Paris, en juin 2025. La carrière de l’artiste helvético-argentine a en effet décollé, et les expositions s’enchaînent, de São Paulo à Londres, de Chicago à Vienne en Autriche. Représentée par les galeries de premier plan Karma International (Zürich), Gladstone Gallery (New York), House of Gaga (Mexico), l’œuvre de Vivian Suter est encore absente des grandes collections publiques françaises.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : La redécouverte de Vivian Suter se poursuit