Villeneuve-d’Ascq (59)

La poésie du geste

LaM - Jusqu’au 6 janvier 2019

Par Céline Garcia-Carré · L'ŒIL

Le 30 octobre 2018 - 539 mots

De Nijinsky chorégraphe et danseur, vous ne verrez aucun pas dansé ; d’Eduardo Arroyo, aucune peinture : mais de l’un, les dessins réalisés alors qu’il ne danse plus et, de l’autre, la collection photographique d’anonymes se tenant tous à cloche-pied.

Car « Danser brut », l’exposition, invite à porter un autre regard sur ces gestes dont l’intention échappe à leurs auteurs, révélant à travers leur corps la part d’irrationnel et d’inconscient qui les habitent. Le tournoiement de la tarentelle ou de la transe, la saccade, le déséquilibre, la convulsion de l’épilepsie, le tracé de la main qui se substitue au corps immobile ou à la communication verbale impossible sont autant d’expressions corporelles qui se ressemblent, mais n’appartiennent pas au répertoire de la danse. Pourtant, la poésie qui s’en dégage n’a pas échappé aux arts visuels, du XIXe à nos jours, comme en témoignent les quelque trois cents œuvres pertinemment choisies par les deux commissaires, Savine Faupin et Christophe Boulanger, qui, à partir de l’art brut, explorent ces interstices invisibles entre le geste dansé et non dansé. Comme l’art brut, ces gestes sont ceux d’autodidactes ou de marginaux, et se situent hors du système de l’art et de ses normes. Pourtant, qu’est-ce qui distingue le geste involontaire de cette femme en transe filmée en 1962 par Gianfranco Mingozzi dans La Taranta du mouvement intentionnel de la danseuse Mary Wigman incarnant la possession dans La Danse de la sorcière en 1929 ? L’étude des différents gestes d’un patient en pleine crise d’épilepsie répertoriés à travers les séries de photographies d’Albert Londe et des dessins du Pr. Charcot en 1883 relève-t-elle du strict champ médical ou peut-on également y voir une esthétisation du corps incontrôlé, comme cette mise en scène du photographe contemporain Philip Bernard, reproduisant la convulsion érotisée d’une hystérique sous le regard sévère d’infirmières austères ? La spontanéité de cette petite fille sautant dans un rai de lumière saisie par Henri Cartier-Bresson est-elle semblable à celle de cette vieille femme, photographiée les bras ouverts et dont le plissement de la jupe suggère un tournoiement, dont on ne sait rien de plus que la mention « hallucinée » inscrite au dos par André Breton ? Ces gestes inhabituels fascinent tant le milieu scientifique qu’artistique par leur étrangeté authentique. C’est d’ailleurs ce que s’attache à montrer la dernière salle, « Explorations perceptives », qui présente les dessins faits par les danseurs de Catherine Contour sous hypnose, aux côtés de ceux de la jeune autiste Lucile Notin-Bourdeau. La force de l’exposition réside assurément dans le choix d’un parcours dialogique, à l’image du titre lui-même, qui met en contact des artistes avec ceux qui n’en sont pas. Les six thématiques fonctionnent en effet par deux termes mis en regard : « rondes et manèges », « tournoiements et possessions » ou encore « la danse du crayon ». Chacune fait dialoguer différents médiums tels que la vidéo, la photographie, le dessin, la sculpture, la musique, la performance ou encore l’installation, laissant émerger « une poésie générale de l’action des êtres vivants », comme l’écrivait Paul Valéry à propos de la danse en 1936 dans Philosophie de la danse. Au centre de ce jeu de miroirs entre danse et arts visuels, l’Art brut se révèle sous un aspect inédit, à travers une mise en perspective historique et esthétique réussie.

« Danser brut »,
LAM, 1, allée du Musée, Villeneuve-d’Ascq (59), www.musee-lam.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : La poésie du geste

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