L’exposition consacrée à l’usage du Photomaton, par le Musée de l’Élysée,
révèle son influence sur le milieu artistique.
LAUSANNE - Mettez une pièce dans l’appareil automatique Photomaton et obtenez… une œuvre d’art. Sitôt inventé aux USA en 1925 par Anatol Josepho, ce procédé instantané qui produit à prix modique des portraits d’identité standardisés et divertit dans les foires, a été détourné de son usage commercial. Au Musée de l’Élysée à Lausanne (Suisse), l’exposition inédite « Derrière le rideau. L’esthétique Photomaton » rend compte à travers photos, peintures, vidéos et extraits de films des pratiques vernaculaires et artistiques les plus variées qui révèlent une richesse d’invention insoupçonnée. « Chaque thématique répond à la question : pourquoi le Photomaton nous fascine ? », explique Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée et co-commissaire de cette exposition aux 6992 visages. De la première mise en scène de Cindy Sherman en 1975 à la série MS 65-94 de Michel Salsmann, des acquisitions renforcent la démonstration. Éludant l’historique qui renvoie à l’ouvrage Photomaton (Raynal Pellicer, Éditions de la Martinière, 2011), le parcours détaille, à la manière d’un éclaté, les spécificités du procédé – « la cabine », « l’automatisme », « la bande » – dont se sont emparés les artistes. L’étude de ce pan négligé de l’histoire de l’art allant des surréalistes au performeur contemporain Steven Pippin questionne ces usages comme la construction-déconstruction de l’identité sociale (Arnulf Rainer, Tomoko Sawada, Gillian Wearing, Susan Hiller) s’opérant face à ce miroir photographique pré-réglé qui rend l’opérateur inutile. Des photographes, peu représentés, seul Richard Avedon fit poser dans un Photomaton des célébrités pour le magazine Esquire en 1957. Faisant fi des 43 000 cabines automatiques implantées dans plus de cent pays, la question de l’identité officielle normée par les États est survolée au profit de l’introspection plasticienne « Qui suis-je ? », « Qui es-tu ? », « Qui sommes-nous ? ».
L’instantanéité inspire
À l’appui, l’exposition s’ouvre par le monumental pseudo-portrait d’identité impersonnel Petra Lappat (1987) de Thomas Ruff. « Le Photomaton reste une tentative d’objectivité à travers son éclairage neutre », observe Clément Chéroux, conservateur de la photographie au Centre Pompidou et co-commissaire. Seul, à deux ou en groupe, que dévoile-t-on de soi derrière le Rideau (1965) peint par Gerhardt Richter ? Le jeu, l’exercice narcissique, les travestissements, l’exhibitionnisme, la performance éclair sont mis en tension d’un lieu de l’intime installé dans des espaces publics : à une série de baisers amoureux succèdent des scènes pornographiques. Des autoportraits ludiques d’André Breton ou Yves Tanguy, des photomontages montrent les surréalistes s’appropriant dès 1928 à Paris ce dispositif similaire à l’écriture automatique. À la Factory, Andy Warhol, pape du Pop art, réemploie en sérigraphies les portraits sériels faits par la machine. Un détour par la poésie de ses dysfonctionnements aboutit à des abstractions manipulées chimiquement par l’Américain Daniel Minnick. « Ah ! Si au moins la photographie pouvait me donner un corps neutre, anatomique, un corps qui ne signifie rien », appelait Roland Barthes (in La Chambre claire) : comme en écho Jean-Michel Alberola s’efface derrière ce « rien » dans son Autoportrait (Rien) (2004). Inédite, la série Regardez, il va peut-être se passer quelque chose (1979-1981) de l’artiste israélien d’origine belge Alain Baczynsky, que vient d’acquérir le Centre Pompidou avec son livre-objet (Textuel), réunit 242 photomatons où l’auteur rejoue ses séances de psychanalyse. Comme un clin d’œil au slogan « Laisse sur ces murs une trace photographique de ton passage » par lequel, l’artiste italien Franco Vaccari créait « L’exposition en temps réel » en 1972 à la Biennale de Venise, un Photomaton des années 1930 prêté au musée de l’Élysée, invite : « Entrez dans les collections du musée en faisant don de votre portrait ».
Coup d’accélérateur pour le projet de pôle muséal au cœur de Lausanne. Le canton de Vaud francophone affiche ses ambitions culturelles : « Une étape décisive a été franchie puisque la Ville a acquis le 31 janvier dernier la parcelle de 21 000 m2 jouxtant la gare qui sera mise à la disposition du Musée cantonal des beaux-arts (MCBA), du Musée de design et des arts appliqués contemporains (MUDAC) et du Musée photographique de l’Élysée », annonce la socialiste Anne-Catherine Lyon, conseillère d’État de Vaud. La Ville a conclu un échange de terrains avec les Chemins de fer suisses (CFF), pour une valeur de 35 à 40 millions de francs suisses (28 à 33 millions d’euros). En 2016 devrait être inauguré le nouveau MCBA d’après le projet « Bleu » remporté par Estudio Barozzi Veiga (Barcelone). Ce projet cantonal, programmé à 75 millions de francs suisses (62 millions d’euros), est abondé par les collectivités publiques, la Ville et des fondations mécènes suisses. Sur le même mode, les deux autres musées, de taille plus modeste, pourraient être implantés en 2020 à un coût qui reste à chiffrer. « Identifiée aux arts de la scène, la ville de Lausanne veut se positionner dans les arts visuels et faire écho à l’ECAL, son école d’art cantonale », déclare Anne-Catherine Lyon. À l’étroit dans son actuelle bâtisse du XVIIIe siècle, le Musée de l’Élysée riche d’un fonds en expansion de plus de cent mille photos, doublerait sa surface à 5 000 m2. « Les œuvres contemporaines en grands formats ne peuvent pas se ranger dans une boîte comme les clichés argentiques. De plus, les nouveaux supports numériques posent la question cruciale de la conservation des œuvres dématérialisées », note Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée où s’achète déjà un billet unique pour les trois musées.
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Commissaires : Sam Stourdzé, directeur du musée de l’Élysée et Clément Chéroux, conservateur du cabinet de photographie au Centre Pompidou avec la collaboration d’Anne Lacoste, historienne de la photographie
Musée de l’Élysée, jusqu’au 20 mai,18 avenue de l’Élysée, 1014 Lausanne, Suisse. www.elysee.ch Catalogue « L’Esthétique Photomaton », sous la direction de Sam Stourdzé, Clément Chéroux, éditions Photosynthèses, 350 pages, 250 illustrations, 65 €. ISBN 9 782363 980021
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : La photographie en boîte