À travers ses expositions thématiques et monographiques, la Biennale de Moscou offre un regard sans complaisance sur l’histoire de sa photographie et, finalement, de la Russie.
L'histoire de la photographie en Russie est un long fleuve tourmenté. Audacieuse dans les années 1920, puis suspectée dans les années 1930 (sa dernière grande expo à Moscou, « Les maîtres de la photographie soviétique », remonte à 1935), la photographie a été ensuite instrumentalisée par Staline, jusqu’à disparaître du quotidien pour ne réapparaître officiellement que dans les années 1990, après l’effondrement du bloc soviétique. « Longtemps, raconte Olga Sviblova, les manuels d’histoire n’ont reproduit que deux clichés : Lénine et Staline assis dans un même canapé [une image retouchée] et l’attaque du palais d’Hiver par Eisenstein. »
Alors disparue ? Pas vraiment, car entre images de propagande et interdits bravés, la photographie russe possède une histoire terriblement passionnante, indissociable de celle du pays.
Portraits des « héros » russes
Par sa programmation, la Biennale de la photographie de Moscou vient d’en apporter une nouvelle fois la preuve, et en couleur, thème de l’édition 2008. Elle a notamment montré comment d’une image « bourgeoise » très xixe siècle, incarnée par le nu et la vue topographique, la photographie a pris le train de la révolution, dans ses formes et dans ses sujets, après 1917. Dans les années 1920, en effet, les athlètes photographiés et rehaussés en couleur par Rodtchenko mettent en place les symboles et les valeurs soviétiques qui seront exaltés après la guerre par « l’œil de la nation », le très officiel photographe Dmitri Baltermants, chez qui le drapeau rouge flotte haut sur le Kremlin et les femmes sont fières de travailler pour la collectivité.
De tels portraits de ces « Héros du cinquième quinquennat », la revue de propagande Ogoniok en reproduit des centaines dans les années 1950. Ils sont même les seuls que la population peut (et doit) voir, elle qui n’a pas accès aux clichés d’Evgueni Chtcheglov, « volés » – puisque non autorisés – depuis les vitres de sa voiture.
Le nu, auparavant si apprécié, ne résiste lui aussi pas au sceau de l’interdiction. Si dans les années 1940 les images de Koretsky montrent les hommes « Aux bains », le sourire saillant comme le muscle, il faut attendre la mort de Staline (1953) et les images de Gende-Rote pour voir les femmes faire leurs ablutions ensemble. Mais la société change et, trente ans plus tard, ces photos se font déjà rares, le bain étant devenu un espace privé.
Directrice artistique de la Biennale de photographie de Moscou.
Comment a évolué l’intérêt pour la photo ces dix dernières années ?
En 1996, quand j’ai créé la maison de la Photographie de Moscou et la Biennale, il n’y avait ni public ni critique pour la photo […]. Aucune institution moscovite n’avait présenté d’exposition, à l’exception d’un petit projet sur Cartier-Bresson organisé par le musée Pouchkine en 1976. Or, aujourd’hui, la photo occupe la moitié du programme des musées de la ville. Quant à la maison de la photographie, elle a déjà organisé plus de 10 000 expositions.
Dans la photographie actuelle, n’y a-t-il pas un brin de nostalgie ?
Quinze ans de capitalisme sauvage ont créé de la nostalgie, que l’on a mesurée dans l’exposition « Primevère » [au Manège]. Les clichés des années 1970 n’avaient jamais été exposés. Les Russes, plus nostalgiques de Brejnev que de Khrouchtchev, sont venus voir leur passé. Moi, j’ai aimé l’époque Khrouchtchev, son sentiment de liberté et le sourire de la population. Mais aujourd’hui, tout le monde rêve de « stagnation ». C’est pour cela que la Russie a choisi Poutine.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La photographie aujourd’hui en Russie
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Les Transphotographiques, à Lille. Autre lieu, autres images : depuis 2001, la photographie s’invite entre Lille,
Lambersart et Roubaix, dans le nord de la France. Jusqu’au 29 juin, pour leur septième édition, les Transphotographiques interrogent les relations entre la mode et la photographie. Sont exposés les grands noms de la photo de mode : Karl Lagerfeld au Tri postal de Lille, Peter Knapp à la maison de la Photographie, David Seidner au musée des Beaux-Arts de Lille.
Ce thème entre en résonance avec la région du Nord-Pas-de-Calais, qui fut le foyer d’une création textile inventive et qui vit naître des entreprises telles que La Redoute. Cette dernière est d’ailleurs le sujet d’une exposition à Roubaix. D’autres expositions sont présentées sur le site du festival www.transphotographiques.com.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : La photographie aujourd’hui en Russie