PARIS
« L’image et son double » joue sur la reproductibilité de la photographie en envisageant toutes les interprétations que cette caractéristique a inspirées aux artistes.
Paris. Le caractère reproductible de la photographie ne l’a pas aidée à se hisser au panthéon des disciplines artistiques « nobles ». Aujourd’hui encore, certains considèrent sa valeur suspecte. « Pourtant des artistes se sont emparés de cette caractéristique pour en faire une qualité, du moins pour déjouer les a priori sur ce qui serait la perte de l’aura de l’œuvre d’art par sa possible reproductibilité », rappelle Julie Jones, commissaire de l’exposition qui présente une anthologie des différentes réflexions et formes auxquelles cette reproductibilité a donné lieu depuis le début du XXe siècle. Elle y développe un panorama synthétique embrassant tous les mouvements, les genres et les formes.
À partir d’un florilège des collections du Musée national d’art moderne, la conservatrice au cabinet de la photographie donne des repères clairs et didactiques, chaque œuvre s’accompagnant d’un cartel détaillé. On peut d’ailleurs regretter que cette exposition organisée en sous-sol, au sein du cabinet de la photographie, n’ait pas pris place dans les étages supérieurs du Centre Pompidou, tant le sujet aborde la nature même de la photographie et ses divers usages ou réappropriations rarement éclairés sous cet angle. Le spectre des photographes convoqués est large : Constantin Brancusi, Susan Meiselas, Pierre Boucher, Man Ray, les artistes conceptuels des années 1970 et les photographes contemporains.
« L’image dans l’image est présente dès le début de la photographie dans des pratiques radicalement différentes », souligne Julie Jones posant en introduction du parcours la fascination pour le double, le dédoublement, le reflet et les jeux d’ombre, collages et répétitions du motif, avant de poursuivre sur les effets produits et recherchés par l’usage d’appareil de reproduction. La Canadienne Sara Cwynar (née en 1985), par exemple, se sert d’images issues de manuels photo qu’elle scanne, faisant ressortir certaines couleurs et des distorsions, dans la lignée du travail d’un André Kertész, obtenu par des miroirs déformants.
Le parcours s’achève sur les liens constants entretenus par la photographie avec d’autres formes artistiques comme la sculpture. Dès le début du XXe siècle, des artistes, non-photographes, ont utilisé ce médium pour étudier leur propre production artistique. Ainsi Brancusi, initié par Man Ray, a-t-il expérimenté différentes techniques photographiques, formats, cadrages et tonalités pour explorer les diverses perceptions de sa sculpture Le Supplice (1906),cette tête légèrement renversée d’enfant aux yeux fermés et menton posé sur son épaule nue.
L’association des contretypes de Brancusi avec l’installation de l’artiste allemand Philipp Goldbach s’avère particulièrement éloquente sur ce que la réappropriation de l’image induit en reconfiguration et réflexion, que ce soit chez un sculpteur, un artiste conceptuel ou une photojournaliste. Ainsi, les 200 000 diapositives issues du département d’histoire de l’art de l’université de Cologne, empilées les unes sur les autres par Philipp Goldbach forment un long muret graphique construit à partir de supports devenus obsolètes depuis l’avènement du numérique. L’objet photographique se fait sculpture, incarnation d’une trajectoire d’images et de sa perception rendue possible par leur qualité reproductible. Chez Susan Meiselas, la reproduction emprunte une autre forme à partir d’une seule et même image : celle que la photojournaliste américaine a prise, en 1979, d’un jeune manifestant jetant un cocktail Molotov sur la garde nationale lors de l’insurrection sandiniste au Nicaragua. Devenue une photo emblématique dès sa parution, la photographe collecte depuis toutes les déclinaisons de ce cliché en tee-shirt, boîtes d’allumette ou graffiti.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°578 du 26 novembre 2021, avec le titre suivant : La photo mise en abyme au Centre Pompidou