La perfection selon Evans

L’organisation d’une rétrospective consacrée à Walker Evans (L’Œil n°513) a été l’occasion de présenter un projet considéré en général comme marginal chez cet artiste : la série des photographies d’objets d’Afrique subsaharienne qui avait été exposée en 1935 au MoMA de New York. Chaque cliché concentre l’attention sur les qualités formelles d’un seul objet isolé sur un fond neutre, souvent redimensionné après tirage par le découpage du positif. D’une façon que l’on retrouve dans les projets plus connus d’Evans, comme la série des églises rurales en bois, la photographie se veut d’abord ici « document parfait ». Elle ne pratique aucun effet de dramatisation, n’impose jamais l’expression d’une subjectivité. La technique de Walker Evans est d’une efficacité esthétique remarquable ; il fait tourner son appareil autour de l’objet pendant un temps de pose long, de telle sorte qu’aucune partie n’en est plus accentuée qu’une autre, qu’aucune ombre ne vient brouiller la visibilité ; l’effet résidant alors principalement dans la capacité à rendre les matières et à serrer la composition. Ce projet pharaonique (477 prises de vue, mais 17 fois plus de tirages pour autant de portfolios largement distribués à l’époque) a requis la collaboration de plusieurs assistants, brouillant ainsi le caractère autographe de chaque tirage. C’est sans doute ce qui explique qu’aucun n’ait été présenté au sein même de la rétrospective ; qu’ils aient été relégués au sein du département d’art africain et océanien. Ces travaux auraient pu être enfin réintégrés au sein de l’œuvre du photographe, au prix de quelques discriminations. Ils se trouvent malheureusement encore maintenus dans un statut uniquement documentaire.