La Fondation Tapies présente trente années de travail de l’artiste autour du thème du corps et rend compte de sa relation au monde par la brutalité de la matière.
BARCELONE - Que le XXe siècle ait été celui du triomphe de l’art américain ne saurait faire oublier qu’il a été, également, celui de la peinture catalane. Amorcé avec l’envol de Pablo Picasso dont les années de formation et de jeune peintre se sont surtout déroulées à Barcelone, poursuivi avec Joan Miró et Salvador Dali, il se sera achevé avec l’œuvre, également magistrale, d’Antoni Tàpies, disparu en 2012 à 89 ans. Des quatre artistes, les trois derniers ont manifesté un attachement extrêmement fort au territoire qui les avait vus naître et qui, malgré son étendue restreinte, a apporté une contribution aussi déterminante que fascinante à l’histoire de l’art du siècle dernier. La Catalogne aura surtout été terre de peintres – d’un genre particulier –, fréquemment attirés également par la sculpture. Tàpies, lui, aura pratiqué cette dernière à la surface même de ses oeuvres, excellant dans la technique mixte, comme vient le rappeler l’exposition que lui consacre la fondation barcelonaise qui lui est dédiée.
Après la présentation de quelques autoportraits de jeunesse qui expriment la double condition existentielle d’homme et d’artiste, elle met en lumière, à travers un thème principal, celui du corps, et sous l’intitulé « Cabeza brazos piernas cuerpo » (en français « Tête, bras, jambes, corps »), des œuvres réalisées pendant les trente dernières années de la vie de l’artiste. Durant toute cette phase comme dans ses plus jeunes années, Tàpies fascine par le renouvellement de son travail et ce, alors même que ses œuvres présentent entre elles une évidente parenté. Malgré leur réelle diversité, les tableaux sont à chaque fois incontestablement « du Tàpies », on reconnaît le maître au premier coup d’œil, la maîtrise technique et stylistique produit une incroyable typicité. C’est vrai du vocabulaire récurrent de l’artiste : croix, signes mathématiques, crânes, sexes, fragments de corps. Ça l’est aussi des coloris où l’emportent les ocres, le terre de Sienne brûlé et les bruns profonds, les gris charbonneux, les noirs ; mais encore également de la matière picturale, épaisse.
L’art et la matière
L’œuvre de Tàpies est obsédée par la matérialité de la peinture, l’épaisseur de la pâte apparaît essentielle. La peinture est avant tout une expérience sensorielle pour l’artiste qui se débat avec sa matérialité pour tenter de la dompter, comme pour le spectateur. L’accrochage choisi rend bien compte de cela, puisque certaines œuvres disposées en milieu de salle permettent d’en faire le tour, de découvrir leur châssis venant renforcer le dos des plaques de bois supports des tableaux, ce qui les rend à leur entière matérialité ; d’autant plus que les œuvres, en leur recto, exploitent souvent les motifs qui ne sont qu’en partie recouverts par les pigments colorés (seules quelques unes ont pour support la toile ou le papier pour des peintures et crayon). La matière, des panneaux, mais aussi celle de la pâte, toujours plus épaisse et plus dense pour mieux rendre compte de la vie, de la condition d’artiste vieillissant qui aborde avec toujours plus d’intensité les questions fondamentales de la condition humaine : la vie, la sexualité, la création et la disparition, la mort. Le langage est prosaïque par l’inclusion d’objets à la surface de certaines œuvres tels que culottes ou autres vêtements, chaussures, cordes, journaux, bambous ; cru, quand la pilosité des corps est rendue par l’insertion de plumes teintées en noir à l’emplacement des aisselles ou du pubis. Les croix sont gravées en profondeur dans la matière figurant la chair comme autant de blessures. La violence des tableaux est là, évoquant souvent des corps mutilés, la morsure du feu. La palette ne saurait être moins sombre, les tons ocre envahissent la surface des œuvres en des empâtements grumeleux qui rappellent la terre ; celle-là même qui, bientôt, accueillera l’artiste vaincu par sa propre disparition. Avant cela et jusqu’à son dernier souffle, exprimant l’effet de vie et le tragique de la condition humaine par le trait nerveux des contours et l’épaisseur de la matière, Tàpies, maître de l’énergie vitale, virtuose de la composition, n’aura cessé de créer et d’être un grand artiste.
Si « Cabeza brazos piernas cuerpo », bien qu’étant de taille assez réduite, bénéficie merveilleusement des beaux volumes de l’espace, notamment de par la hauteur des cimaises, c’est surtout par la formidable puissance des œuvres présentées qu’elle apparaît remarquable.
Jusqu’au 4 novembre 2012, Fundacio Antoni Tàpies, Aragó 255, Barcelone, Espagne, mardi-dimanche 10h-19h. Tél. : 00 34 934 870 315, www.fundaciotapies.org
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La patte d’Antoni Tàpies
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : La patte d’Antoni Tàpies