Le Louvre inaugure sa « Petite Galerie », consacrée à l’éducation artistique, avec une exposition sur les mythes. Une « école du regard » qui n’est pas accessible à tous.
PARIS - Précisons d’emblée que la nouvelle « Petite Galerie » du Louvre, qui se veut un espace d’éducation artistique, est une idée aussi formidable qu’attendue depuis longtemps. Elle répond à une demande émanant de la précédente ministre de la Culture, mais cela n’enlève rien à sa pertinence. Disons ensuite que la bonne volonté de ses productrices que sont la commissaire – et directrice du Musée Eugène-Delacroix – Dominique de Font-Réaulx et la chef de projet, Frédérique Leseur, n’est pas mise en cause, bien au contraire, et qu’il faut les féliciter de s’être mesurées à ce défi majeur. Car il n’est pas si simple de faire une « exposition pour les nuls ».
Or, en l’espèce, l’exposition inaugurale, consacrée aux « Mythes fondateurs », est une démonstration exigeante qui requiert un bagage intellectuel d’adulte. La triple visée poursuivie est complexe : expliquer ce qu’est un mythe, décrire les objets des mythes et enfin montrer comment les artistes les représentent. C’est beaucoup trop pour une visite d’initiation. Là où sont abordés la création du monde, les mondes enchantés, les héros, les monstres et les multiples tiroirs qu’ouvrent ces thèmes, soit autant d’investissements intellectuels, il aurait fallu se concentrer sur un seul axe, par exemple celui des héros. On aurait pu ensuite consacrer une salle entière à définir ce qu’est un héros à partir d’exemples contemporains, puis s’emparer de quelques héros issus de différentes civilisations et montrer les différents modes de représentation, des images les plus simples aux expressions les plus sophistiquées. Le service communication du Louvre ne s’y est pas trompé, qui veut convaincre le grand public de descendre sous la Pyramide et utilise pour ce faire des figures d’appel issues de l’imaginaire collectif : les personnages d’Hercule et de Dark Vador, tiré du film La Guerre des étoiles (1977).
Zapping
La multiplicité des thèmes et des œuvres, et la proximité qu’ils entretiennent entre eux, voulue par les organisateurs pour faciliter l’émerveillement, a un effet pervers. Elle encourage le zapping sans laisser le temps au jeune public d’entrer dans les œuvres et de se forger une pensée. Saluons ici le recours à des œuvres originales, de qualité, et provenant de tous les continents et datées de toutes les époques, tout en nous interrogeant sur la façon dont les parents vont expliquer à leurs enfants l’œuvre d’Yves Klein (Ci-gît l’espace (RP13), 1960), censée illustrer la tombe de l’artiste qui devient lui-même sujet d’une œuvre.
Indétermination sur le public visé
Questionné sur l’ambition du propos et la complexité de sa mise en œuvre, le Louvre invoque la présence de dispositifs ludiques et la mise à disposition de médiateurs. Mais il y a une faille dans le raisonnement. Soit l’exposition fonctionne sans médiateur, et l’argument tombe, soit elle requiert un médiateur et dans ce cas il faut revoir complètement la scénographie et aérer la circulation pour pouvoir asseoir plusieurs enfants devant chaque œuvre. Il y a ensuite une indétermination sur le public visé qui montre bien les affres qu’ont traversées les organisateurs. Les uns disent que l’exposition s’adresse aux enfants, les autres aux familles, entendez là « les enfants éclairés par leurs parents ». Prudemment, le président-directeur de l’établissement, Jean-Luc Martinez, évoque le public en général sans le caractériser. C’est cette indétermination qui introduit un vice de construction. Il est impossible de bâtir une exposition qui convienne à la fois à des enfants âgés de 10 ans, à des adultes intimidés par le musée et à un public cultivé. Il faut choisir. Il y a enfin une contradiction à envisager cette galerie comme un espace d’éducation, voire de démocratisation, et ne pas lui donner un accès et un tarif spécifiques. À 15 euros l’entrée (tarif plein, adulte), les familles risquent de la parcourir au pas de course pour se rendre ensuite dans les collections permanentes et rentabiliser la visite.
Comme le relève justement Dominique de Font-Réaulx, il s’agit d’un premier essai, à améliorer. Le prochain commissaire n’est autre que le patron du Louvre lui-même. Jean-Luc Martinez saura-t-il faire simple ?
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La « Normale sup’ » du regard
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Abonnez-vous dès 1 €tlj sauf mardi 9h-18h, mercredi et vendredi jusqu’à 22h, http://petitegalerie.louvre.fr. Jusqu’au 4 juillet 2016, « Mythes fondateurs, d’Hercule à Dark Vador » ; catalogue, coéd. Louvre/Éditions courtes et longues, 56 p, 19,90 €.
Légende photo
La Petite Galerie du Louvre. © Photo : Musée du Louvre/Antoine Mongodin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : La « Normale sup’ » du regard