Au palais du Belvédère de Vienne (Autriche), une exposition révèle le talent de paysagiste de Gustav Klimt, jusque-là plus connu pour ses sulfureuses allégories et ses portraits féminins que pour ses paisibles vues de la région du Salzkammergut. Une trentaine de paysages de l’artiste, très fragiles en raison de leur couche picturale mince et non vernie, ont été exceptionnellement réunis.
VIENNE - On croyait tout connaître de l’œuvre de Klimt, de ses femmes vénéneuses et de ses envoûtantes allégories. Une exposition à Vienne révèle, à travers vingt-sept œuvres issues de collections publiques et privées, un pan méconnu et pourtant fondamental (un quart de ses tableaux y est consacré) de sa production : le paysage. Klimt s’y adonne dès les années 1880, puisant à la source de peintres réalistes tel Emil Jakob Schindler (Au cœur de la forêt, 1881-1887). Peu nombreuses, ces vues de sous-bois et de ruisseaux, proches par leur esprit et leur palette de l’école de Barbizon, laissent place, à partir de 1895-1900, à une pratique assidue et renouvelée du paysage. Cet engouement pour un genre qui avait jusque-là peu retenu son attention est indissociable de la “Fakultätbilder Krise” (crise des peintures de l’Université), qui bouleverse la carrière de l’artiste : au faîte de sa gloire, Klimt déchaîne passions et indignations lorsqu’il dévoile son décor (la Philosophie, la Médecine et la Jurisprudence) pour la salle des fêtes de l’université de Vienne. Interpellé par le Conseil d’État en raison de l’érotisme provocant de son cycle et écarté en 1905 de l’Académie des beaux-arts, où il avait été précédemment nommé, Klimt renonce dès lors aux commandes de l’État et multiplie les séjours dans la région verdoyante du Salzkammergut. Ce “lieu idéal, façonné par le Créateur lui-même pour son seul plaisir”, comme l’écrira le peintre, lui inspire jusqu’à sa mort, en 1918, de remarquables toiles. Aux couleurs sombres (Au cœur de la forêt, 1881-1887) et aux formats allongés des débuts (Après la pluie, 1898) succèdent à partir du début du siècle des compositions carrées – proportions qu’il considérait comme idéales – et lumineuses. Armé d’un “sucher” (chercheur), petit cadre en bambou ou en ivoire à partir duquel il cherche et définit ses motifs, Klimt rétrécit le champ de vision, se concentre sur un aspect précis du paysage : les plans d’eau et les troncs d’arbres vers 1900, les pommiers et champs de coquelicots à partir de 1903, les fleurs dans les années 1905-1907… À peine suggérée dans les premières toiles, la perspective tend rapidement à disparaître, tandis que la palette et la touche prennent au début du siècle des accents néo-impressionnistes. Plus que par l’aspect scientifique du divisionnisme, Klimt est attiré par les effets de tapis mouchetés que produisent d’innombrables touches régulières et bien visibles. Ses paysages se transforment ainsi à partir de 1903 en des mosaïques colorées, où la fleur et l’arbre sont ramenés sur le même plan (Champ de coquelicots, 1907). Dans le même temps, sa palette gagne en intensité et l’horizon sombre peu à peu dans des compositions où la nature envahit toute la toile (Le Tournesol, 1907). Seule l’architecture parviendra, à partir de 1908, à se tailler une place dans cette végétation luxuriante (la série du château de Kammer). Sous l’influence conjuguée de Van Gogh et d’Egon Schiele, dont il fait la connaissance en 1907, Klimt réalise durant cette période des paysages plus fougueux dans la facture, la couleur et la distribution des masses. En témoigne notamment L’Avenue du parc du château de Kammer (1912), peint dans une pâte plus épaisse et dans des tons arbitraires. Le parcours, après une incursion dans les vues très structurées que lui inspirent le lac de Garde (Italie), se clôt sur l’unique paysage viennois de l’artiste : une vue mélancolique du Parc de Schönbrunn (1916).
GUSTAV KLIMT, PAYSAGES, jusqu’au 23 février, Galerie supérieure du Musée du Belvédère, Prinz Eugen-Strasse 27, Vienne, tél. 43 1 79 557 262, tlj sauf lundi 10h-19h. Catalogue (anglais et allemand), éd. Prestel.
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La nature intime de Klimt
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : La nature intime de Klimt