PARIS
Le Musée Bourdelle offre un bel aperçu de l’émotion esthétique que suscita la danseuse Isadora Duncan
PARIS - En 1909, Antoine Bourdelle vécut l’Iphigénie en Tauride de Gluck, interprétée par Isadora Duncan au théâtre du Châtelet, comme un choc esthétique. Le sculpteur connaissait pourtant depuis quelques années cette prêtresse de la liberté du corps, du geste, mais aussi des mœurs, née en 1877 à San Francisco. Dans les cercles artistiques parisiens au début du siècle, elle donnait des récitals privés à des spectateurs aussi variés qu’Eugène Carrière, Auguste Rodin et Anna de Noailles. En contradiction totale avec l’enseignement académique, Duncan danse pieds nus, porte des tuniques légères volontiers révélatrices pour ne pas contraindre le mouvement, et, à l’image d’une bacchante, laisse son corps exprimer les émotions suscitées par la nature et la musique. La danseuse n’a pas seulement envahi l’œuvre de Bourdelle, qui exécute 150 dessins le lendemain de la représentation d’Iphigénie, elle est aussi source d’inspiration pour de nombreux contemporains – Rodin, Clará, Dunoyer de Segonzac, Grandjouan, Walkowitz… Elle n’a jamais été une technicienne, d’où une désarmante facilité à suivre son instinct. Et pour reproduire ces gestes intuitifs, les artistes se forcent à libérer leurs propres gestes formatés. Picasso ne disait-il pas qu’il avait mis toute une vie pour savoir dessiner comme un enfant ?
En déesse ou cariatide…
Le Musée Bourdelle, à Paris, rend hommage aux années françaises de la muse du sculpteur avec autant de naturel que de révérence. Isadora Duncan trouve une place d’honneur dans cette étude transversale du monde qui l’entoure à une époque de bouleversements esthétiques : les cercles d’avant-garde, l’anticomanie, et les danseurs et chorégraphes en vogue à Paris. Après une introduction un peu brouillonne, posant un contexte artistique et social, le parcours prend véritablement corps au travers des œuvres inspirées par la danseuse – dessins, sculptures, costumes, extraits de films, mais aussi de très belles photographies signées Edward Steichen, immortalisant Duncan au Parthénon en déesse, ménade ou cariatide. Sans oublier un tour de force : 24 dessins à l’encre brune ou violette d’Antoine Bourdelle saisissant la danseuse dans des positions différentes, accrochés en une seule phrase. Des feuilles indépendantes, exécutées à des moments distincts mais rapprochées de telle sorte qu’elles décrivent un seul élan. Bourdelle a non seulement couché Duncan sur le papier, mais il a fait d’elle et de Vaslav Nijinsky l’incarnation absolue de la danse pour une métope au-dessus des portes latérales du théâtre des Champs-Élysées, à Paris. Qui mieux que Vaslav et Isadora pour personnifier le précepte suivant : un vrai danseur ne danse jamais, il « est » la danse.
Commissaires : Juliette Laffon, directrice du Musée Bourdelle ; Hélène Pinet, chargée des archives et de la recherche au Musée Rodin ; Stéphanie Cantarutti, conservatrice au Musée Bourdelle
Œuvres : environ 350 réparties dans le musée (35 sculptures, 25 tableaux, 150 dessins, 100 photographies, des films…)
Scénographie : Jean-Michel Rousseau
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La muse aux pieds nus
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Abonnez-vous dès 1 €ISADORA DUNCAN (1877-1927), UNE SCULPTURE VIVANTE, jusqu’au 14 mars 2010, Musée Bourdelle, 18, rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris, tél. 01 49 54 73 73, www.bourdelle.paris.fr, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-18h. Catalogue, éd. Paris Musées, 332 p., 386 ill. couleurs, 39 euros, ISBN 978-2-7596-0092-2
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°315 du 11 décembre 2009, avec le titre suivant : La muse aux pieds nus