Importante, la rétrospective Magritte organisée par la Galerie nationale du Jeu de paume à Paris déçoit par la pauvreté de son propos, un accrochage en enfilade et un manque total de mise en contexte du travail de l’artiste. Impossible pourtant de bouder son plaisir devant la centaine de toiles du maître de l’illusion.
PARIS - Au centre d’une petite photographie de 1955, René Magritte pose, une publicité en toile de fond. À la façon d’un personnage de bande dessinée, sa silhouette à la ligne claire et sans plis s’inscrit devant une ampoule géante. Au milieu de quelques clichés exposés au sous-sol de la Galerie nationale du Jeu de paume, à Paris, le portrait donne quelques indications de l’image que l’artiste se plaisait à construire : un petit-bourgeois sans histoire, propriétaire heureux d’un loulou de Poméranie, mais qui, de son salon bruxellois, dynamitait conventions et habitudes. Le tout sur le dos d’un médium établi, la peinture, qu’il ne rechignait pas à “encroûter” plus encore. La centaine de toiles exposées dans les étages supérieurs en apportent les plus belles preuves. Par le collage et le montage, bien sûr, mais aussi à travers la mise en série, la redite, et le vol, l’œuvre de Magritte se construit par effraction : son Retour de flamme de 1943 rend hommage à un alter ego, Fantômas, héros mystificateur par excellence. Passant pour réaliste, le peintre s’attelle à une manière honnête, mais qui tient davantage du symbole que de la simple imitation. Par deux fois entre 1943 et 1946, puis en 1948, il revêt des habits d’“artiste peintre”, adoptant manière impressionniste puis mauvais goût assuré, histoire d’intoxiquer tout le monde à la térébenthine.
Fantômas et cambriolage
Dès lors, toute tentative de retour dans ce corpus truffé de chausse-trapes tient de l’exploit. L’échec de la rétrospective organisée par le Jeu de paume le démontre, même si celle-ci s’annonce comme un cambriolage réussi d’un point de vue financier. Le chapiteau à produits dérivés, construit expressément sur le côté du bâtiment, est redoutable, à la hauteur de l’argument scientifique qui entend “présenter l’œuvre de Magritte, non pas comme celle d’un peintre surréaliste historique, voire académique, mais souligner comment nombre de courants de l’art contemporain y ont puisé les sources de leur inspiration”. En fait de relecture, l’accrochage qui prévaut ici est simplement chronologique. Il court des années 1920 aux années 1960, souffre d’une scénographie “chambre d’enfant” avec effet “nuages”, fait une impasse totale sur toute remise en contexte de l’œuvre de Magritte et laisse sur le papier les confrontations avec des artistes comme Johns, Rauschenberg ou Kosuth. Paradoxalement, “La révolution surréaliste” au Centre Georges-Pompidou en disait davantage sur l’importance historique de Magritte que l’enfilade de toiles présentées ici. Reste qu’une fois débarrassée de l’attitude qui consisterait à attendre de pareille manifestation un contenu scientifique, un accrochage réfléchi et les remises en jeu d’une œuvre apparemment trop connue, il faut s’arrêter devant chacune des toiles de Magritte, noter ce que la digestion visuelle de ces images, devenues trop “classiques”, de posters en manuels de philosophie, a oblitéré.
- MAGRITTE, jusqu’au 9 juin, Galerie nationale du Jeu de paume, 1 place de la Concorde, 75 008 Paris, mardi 12h-21h30, mercredi à vendredi 12h-19h, samedi et dimanche 10h-19h, www.jeudepaume.org. Catalogue, éd. Jeu de paume/Ludion, 304 p, broché 35 euros, relié 45 euros. - À lire : Pierre Sterckx, Magritte - L’Empire des images, éditions Assouline, 2003, Paris, 232 p., 310 euros, papier chiffon, coffret toilé et imprimé. ISBN 2-84323-430-1.
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La grande illusion
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : La grande illusion