Pour l’antenne de Lens, les équipes du Louvre ont imaginé une muséographie entièrement décloisonnée où l’émotion doit primer sur la connaissance. Un voyage dans le temps au travers de chefs-d’œuvre signés Delacroix, Ingres, Raphaël, La Tour, etc.
Projet de décentralisation et de démocratisation culturelle, le Louvre-Lens a été conçu comme un musée sans collections propres, alimenté par des dépôts de longue durée du Louvre. Pensé comme un lieu d’initiation à l’art, il présente deux cent cinq œuvres selon un parcours chronologique qui dessine une vision transversale de l’histoire de l’art, du IVe millénaire avant notre ère au milieu du XIXe siècle. Ces objets issus de tous les départements du « Musée universel » – Antiquités orientales, égyptiennes, grecques, étrusques et romaines, Arts de l’Islam, Objets d’arts, Peintures et Sculptures – y sont montrés, pour la première fois, dans un espace entièrement décloisonné qui instaure des dialogues inédits entre des œuvres contemporaines provenant de différentes cultures.
Le premier accrochage de la galerie du Temps, composé à 80 % d’œuvres décrochées des salles d’exposition parisiennes, a été élaboré pour une durée de cinq ans, à l’exception de quelques trésors du Louvre qui ne quitteront Paris que pendant un an. Les pièces seront remplacées, assure-t-on, par des œuvres de qualité équivalente.
Vertige de la liste
Sans grande surprise, la première sélection affiche un nombre considérable d’icônes du Louvre, comme La Liberté guidant le peuple de Delacroix, le Baldassare Castiglione de Raphaël ou encore
le célèbre Discophore antique. Le personnel scientifique se défend cependant d’avoir voulu constituer un manuel d’histoire de l’art ou un florilège de chefs-d’œuvre. « Les œuvres ont été choisies pour leur contenu signifiant et parce qu’elles présentaient au moins deux entrées : histoire de l’art, civilisation ou encore valeur d’usage », explique Vincent Pomarède, directeur du département des Peintures du Musée du Louvre, et responsable du choix des œuvres de la galerie du Temps avec Jean-Luc Martinez, directeur du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. « Nous cherchions un équilibre, il fallait que les grands noms soient présents, mais nous ne voulions pas nous cantonner à accumuler des chefs-d’œuvre ; ces objets ont été réunis autour d’un discours civilisationnel », précise, quant à lui, Jean-Luc Martinez.
Si le travail de sélection a duré plusieurs années, le parti pris chronologique et transversal s’est, en revanche, rapidement imposé. Pour faire de ce musée un lieu d’initiation, « il fallait un principe d’organisation simple pour éviter de tomber dans la cacophonie », estime Jean-Luc Martinez. Simple, mais pas simpliste : le premier fil conducteur, centré sur la question de la représentation de la figure humaine, jugé trop réducteur, a ainsi été abandonné. Pour plus de cohérence, le corpus a également été affiné. Près d’une centaine de pièces initialement retenues ont été écartées parce qu’elles brouillaient le discours. Car, si les œuvres ont été choisies en raison de leur représentativité et de leur bon état de conservation, leur capacité à entretenir une relation harmonieuse avec les autres pièces a aussi été prise en compte. En effet, « tous les objets ne dialoguent pas entre eux. C’est très compliqué de mélanger les techniques et les échelles, cela peut donner un résultat totalement artificiel. Mettre en scène les œuvres importantes sans écraser les autres a ainsi constitué un vrai défi », souligne Jean-Luc Martinez.
Un parti pris inédit
Dire que les scientifiques n’ont pas opté pour la facilité est un doux euphémisme ; raconter plus cinq millénaires de création dans un espace unique, rythmé uniquement par des cimaises libres, représente un vrai tour de force et une profonde rupture avec la tradition muséographique, qui classe les œuvres par écoles. L’enjeu est donc de taille : décloisonner pour construire des parallèles entre les productions de civilisations et de cultures différentes afin de montrer la vitalité des échanges artistiques ainsi que la diversité de la création à travers l’histoire de l’humanité.
Grâce à ses collections encyclopédiques, le Louvre peut mettre en évidence ces différents moments d’interaction entre les cultures, souvent inconnus du public, car jamais matérialisés par le voisinage des œuvres. Les visiteurs pourront non seulement découvrir qu’au IIe millénaire avant notre ère l’Égypte, le Proche-Orient et la Grèce dialoguent et tissent de puissants réseaux d’influence, mais aussi constater l’intensité des échanges artistiques en Europe au cours de la période gothique. « Entre 1200 et 1450, un langage plastique propre à la chrétienté d’Occident voit le jour. Ici, nous pouvons montrer les éléments qui participent de la même esthétique sans gommer les différences », révèle Jean-Luc Martinez.
Une muséographie de l’émotion
D’après ses concepteurs, pour qu’elle soit efficace, cette démonstration intellectuelle ne doit cependant pas reposer uniquement sur des procédés didactiques. « Nous voulons apporter de l’émotion par les œuvres. On espère qu’à travers l’émotion, la curiosité va émerger », confie Vincent Pomarède. Mais le levier émotionnel n’est pas le seul actionné par cette présentation qui favorise l’éclosion de plusieurs niveaux de lecture. Les rapprochements peuvent relever du choc esthétique, en montrant deux pièces contemporaines diamétralement opposées se faisant pendant ; mais aussi de la confrontation civilisationnelle, en accrochant, par exemple, un tableau représentant La Réception des ambassadeurs vénitiens à Damas (1511) à côté d’une vitrine contenant des objets de culture islamique créés à la même époque.
Enfin, lieu d’initiation au regard, la galerie du Temps opère également des associations qui relèvent davantage de l’histoire de l’art, notamment en permettant d’embrasser dans un même coup d’œil deux grands peintres du XVIIe siècle aussi différents dans leur style que Rubens et Poussin.
« L’histoire de l’art est un des rares domaines artistiques où l’on se pose la question de la connaissance avant celle du plaisir. Quand le public arrive au musée, il vient avec l’idée qu’il est là pour apprendre des choses, mais lorsqu’il pense ne pas avoir les clefs pour comprendre, il développe une inhibition. Ici, notre ambition est, dans un premier temps, de donner à voir de beaux objets et de créer une relation émotionnelle entre le visiteur et l’œuvre pour qu’ensuite le mécanisme de la connaissance puisse se mettre en route naturellement », insiste Vincent Pomarède.
Instaurer cette proximité avec l’œuvre et permettre un échange subtil et intelligible entre les pièces nécessite non seulement des outils didactiques et des efforts de médiation, mais aussi, en premier lieu, que la muséographie se mette au service des œuvres pour que les dialogues se fassent d’eux-mêmes. Tout en sobriété et en délicatesse, le travail du scénographe Adrien Gardère tente ainsi de matérialiser des liens visuels et conceptuels entre les œuvres : « Le visiteur pénètre dans un bâtiment de 3 000 m2. Pour que le parcours fonctionne, il faut éviter l’effet forêt d’œuvres. Les objets doivent être perceptibles depuis plusieurs perspectives, suffisamment autonomes pour être admirés pour eux-mêmes, mais ils doivent en même temps former des groupes cohérents pour participer
du discours global... » Verdict le 12 décembre prochain.
Dimanche 16 décembre 2012 à 16 h 50, Arte diffuse un documentaire qui retrace la naissance du Louvre-Lens en plein pays minier au coeur de la Région Nord-Pas de Calais. Écrit par N. Philippe et M. Gaumnitz, réalisé par M. Gaumnitz. Coproduction Arte/AMIP/louvre, 52 mn. Sortie en DVD le 6 décembre.
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La galerie du Temps - Un Louvre inédit à Lens
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°652 du 1 décembre 2012, avec le titre suivant : La galerie du Temps - Un Louvre inédit à Lens