Au rayon de l’hybride, la démarche d’Orlan se joue de toutes les pratiques, de tous les styles et de toutes les cultures pour les mixer dans une esthétique inédite innovante.
De ses premières Tentative(s) pour sortir du cadre (1965) aux Self-Hybridations entamées en 1998, en passant par La Madone au Minitel (1985), l’art d’Orlan avoue une passion irrépressible pour l’histoire de l’art. Dans son manifeste L’Art charnel, si elle revendique l’usage des moyens technologiques, elle ne tait pas son attachement aux modèles du passé : « L’art charnel, écrit-elle, est un travail d’autoportrait au sens classique. »
Le poids des symboles
Battant en brèche toute tradition visant à mettre en exergue le corps souffrant, Orlan affirme pouvoir « voir [son] propre corps ouvert sans en souffrir », se voir « jusqu’au fond des entrailles ». Assurant ainsi l’artiste d’une totale liberté individuelle, « l’art charnel » s’inscrit selon elle dans le social comme dans les médias et, si nécessaire, peut aller jusqu’au judiciaire. Il s’impose alors comme une institution affectionnant particulièrement, question style, « le baroque, la parodie, le grotesque et les styles laissés-pour-compte ».
À parcourir l’œuvre de l’artiste au fil du temps, il semble qu’Orlan puise son inspiration dans l’histoire de l’art. Non pour son rôle de caution, mais pour la charge symbolique et universelle dont elle est investie.
En 1967, sa série des Tableaux vivants évoque des personnages féminins emblématiques tels que la Maya de Goya ou La Grande Odalisque d’Ingres. Quant à la figure de la madone sous les traits de laquelle elle se présente dans Le Baiser de l’artiste puis dans toutes ses études documentaires sur Le Drapé, le Baroque (1979-1986), elle renvoie à la célèbre sculpture du Bernin, L’Extase de sainte Thérèse.
Se jouant de l’iconographie de la Vierge, elle en subvertit la représentation dans une nouvelle scénographie, mettant le personnage en mouvement et amplifiant ou minimisant à son gré la charge du symbolisme chrétien. La figure de « sainte Orlan » qu’elle s’invente tout d’abord figurée avec fleurs sur fond de nuages, puis bénissant des objets du culte, et enfin investie dans la série des Réincarnations réfère pour sa part à toute une hagiographie fictionnelle dont elle est l’héroïne.
La beautée détournée
Côté vanité et narcissisme, Orlan n’est pas en reste et sa série de la Femme au miroir (1983) en dit long sur le sens de sa quête. À l’inverse de la tradition, elle ne s’y montre pas de façon idéale mais le visage recouvert d’une substance couleur chair ressemblant à une pâte visqueuse, s’employant ainsi à se défigurer et à se « reconfigurer ». C’est l’enjeu même des différentes opérations chirurgicales-performances qu’elle conduit par la suite.
Le bloc opératoire devient dès lors son « atelier », le lieu de toutes les métamorphoses possibles et chacune des prestations qui y est réalisée s’impose alors comme un « rite de passage ». Tout y est mis au service d’un détournement, celui de l’objectif convenu de la chirurgie esthétique aux fins de remettre en cause les normes de la beauté, préoccupation récurrente de toute histoire esthétique.
Le corps comme ready-made
Adepte de toutes les manipulations tant réelles que virtuelles, Orlan n’a de cesse de multiplier les mutations faciales. Intitulée Omniprésence (1994), la série qu’elle présente au Centre Pompidou en 1994 dans le cadre de l’exposition « Hors limites » : l’art et la vie témoigne du soin permanent qui l’anime d’interroger les notions historiques et contemporaines de l’idée de beauté. Oscillant entre défiguration et refiguration, son art la conduit finalement à considérer le corps comme « un ready-made modifié car il n’est plus ce ready-made idéal qu’il suffit de signer ».
De cette réflexion post-duchampienne, Orlan déduit la possibilité des Self-Hybridations. Avec un spécialiste de l’image numérique, elle élabore une production de portraits hybrides – traits de son propre visage et certaines caractéristiques d’objets issus de cultures précolombiennes ou africaines. Chacune des images produites en appelle à une connaissance approfondie des rites, des rituels et des canons esthétiques en référence. À l’instar de cette Self-Hybridation africaine du nom de Cimier ancien de danse Ejagham Nigéria et visage de femme euro-stéphanoise, une façon pour le moins visionnaire de syncrétisme culturel.
Informations pratiques « Orlan, le récit », jusqu’au 26 août 2007. Commissariat”‰: Laurent Hegyi, Eugenio Violat. Musée d’Art moderne Saint-Étienne Métropole, La Terrasse, Saint-Étienne (42). Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs”‰: 4,60 € et 3,70 €, tél. 04”‰77”‰79”‰52”‰52, www.mam-st-etienne.fr
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La fusion des genres ou le syncrétisme culturel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : La fusion des genres ou le syncrétisme culturel