Le Musée Félicien Rops présente une rétrospective des années symbolistes d’un artiste possédé par ses « imaginations ».
Namur (Belgique). Une fois n’est pas coutume : le clou de l’exposition, l’immense Christ aux outrages (1889, [voir ill.]), n’est pas montré dans les salles du musée, trop étroites, mais dans la chapelle Saint-Loup voisine. Il faut commencer la visite par cette œuvre qui a fait la gloire du jeune Henry de Groux (1866-1930) et a été témoin de presque toute sa vie. Incomprise par le public de sa Belgique natale lors de sa première exposition en 1890, la toile fut pourtant appréciée de nombreux artistes et du roi Léopold II. En 1892, celui-ci en paya le transport jusqu’à Paris, où le peintre s’était installé, pour qu’elle y soit exposée. Elle resta dans son atelier jusqu’en 1925, lorsque Jeanne de Flandreysy l’acheta pour son palais du Roure à Avignon. Depuis, elle n’était retournée en Belgique qu’en 1930 à l’occasion de la rétrospective organisée après la mort de l’artiste.
Après avoir admiré l’œuvre « d’une couleur farouche et violente [...], d’un dessin extravagant » que décrivait le critique d’art Arsène Alexandre, le public est invité à rejoindre les salles du Musée Rops pour découvrir la carrière d’Henry de Groux, jusqu’à la Première Guerre mondiale, à travers un choix de thèmes. En effet, il n’y a pas, parmi la soixantaine d’œuvres présentées (huiles, pastels, estampes, dessins), de ces portraits qui lui ont permis de survivre mais dont il a dit au journaliste William Ritter : « Cela m’ennuie ! Cela n’a aucune espèce d’intérêt pour moi... ». Ajoutant, à propos du reste de sa production : « Je ne fais jamais poser, car une réalité altérerait la forme de mes imaginations, la réalité empêche d’atteindre le rêve. »
Véronique Carpiaux, Jérôme Descamps et Denis Laoureux, les commissaires, ont préféré se cantonner aux figures du Christ, aux illustrations et à ses travaux personnels sur la Première Guerre mondiale, Dante et la Divine Comédie, l’épopée napoléonienne et les musiciens et écrivains pour lesquels il se passionnait.
Hostile à toute école et même aux recherches stylistiques – c’est la raison qui l’a poussé à refuser d’exposer à côté des Tournesols de Van Gogh –, il envisageait son art d’une manière à laquelle nous a habitués l’abstraction lyrique mais qui déroutait ses contemporains. Il exécutait l’œuvre dans une sorte de transe, utilisant son bagage littéraire et artistique sans y faire consciemment référence. « J’aime [...] la débauche de la couleur, et le “chaos linéaire”, et “la turbulence” d’allure de mon art, avec passion ; je l’aime avec excès et pour son excès, physiquement, matériellement [...]. La seule vue d’une palette fraîchement préparée me trouble et me serre le nœud de la gorge, ainsi qu’il arrive aux hystériques »,écrivait-il dans une lettre ouverte au marchand Édouard Gérard. Une furia qu’il a aussi connue lorsqu’il s’est consacré à la sculpture.
Mettant également en valeur les écrits foisonnants de l’artiste, et notamment son Journal, l’exposition montre parfaitement l’immense talent et la singularité d’Henry de Groux, « domicilié dans les orages » selon les mots de Denis Laoureux.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : La furia d’Henry de Groux