BÂLE - Figure attachante de l’histoire de l’art, Henri Rousseau est demeuré à la postérité sous le surnom de Douanier Rousseau, bien qu’il fût précisément gabelou. Cet artiste autodidacte aux talents multiples – il a écrit plusieurs pièces de théâtre dont une, L’Étudiant en goguette, devrait être prochainement publiée selon le souhait de Yann Le Pichon, légataire universel de la petite-fille du Douanier – a marqué de son apparente naïveté les prémisses de l’art moderne.
La spontanéité qu’on retrouve dans ses toiles n’a pourtant de cesse de rendre le monde tel qu’il le voyait. Décalé, le Douanier Rousseau l’était à bien des titres : reconnu pour ses tableaux de jungles, il n’y a cependant jamais mis les pieds, ne quittant quasiment pas Paris et ses environs, mais fréquentant assidûment le Jardin des Plantes et ses salles d’animaux empaillés. Sa peinture, gorgée d’un imaginaire aussi foisonnant que la végétation représentée, se concentre sur le passage délicat et inquiétant de la civilisation ordonnée à la nature sauvage : du connu à l’inconnu.
Après la rétrospective aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, en 2006, la Suisse célèbre le centenaire de la mort de l’artiste. À la Fondation Beyeler, le décor est d’abord planté avec quelques photographies d’Henri Rousseau au travail. Viennent ensuite ses portraits.
Les Portrait de Monsieur X (Pierre Loti) (vers 1910) et La Carriole du père Junier (1908) font basculer l’artiste à un autre niveau : la composition, construite avec précision, n’a de naïf que la manière. La fraîcheur de la représentation se fait soudain mystère face à deux imposants portraits de femmes exécutés, l’un en 1895-1897, l’autre en 1895. Les paysages français font alors une charmante incartade, où se perd un peu Le Navire dans la tempête (après 1896). Cette séquence se clôt sur un parallèle entre L’Octroi (vers 1890) et Promeneurs dans un parc (1907-1908), où les passages représentés sont symptomatiques, d’après Philippe Büttner, commissaire de l’exposition, de cette obsession de la transition entre l’ordonné et le sauvage chez Henri Rousseau.
Atmosphère propice à la rêverie
La dernière partie annonce enfin la couleur : verte ! Les œuvres de jungle, caractéristiques du peintre, y sont réunies, hormis Le Rêve (1910) demeuré à New York. Certaines toiles évoquent aussi d’autres facettes du Douanier Rousseau, avec un intérêt marqué pour la photographie dans la composition de La Noce (vers 1904-1905), un essai sur le mouvement dans Les Joueurs de football (1908) ou encore une surprenante originalité dans Un soir de carnaval (1886). Mais l’œil est inévitablement attiré par la végétation luxuriante des œuvres monumentales que sont La Charmeuse de serpents (1907), Le Lion, ayant faim, se jette sur l’antilope (1898-1905), ou encore Surpris ! (1891), première œuvre de jungle du Douanier, présentée au Salon des indépendants de 1891. L’artiste vécut dans un dénuement relatif et resta en partie incompris.
Son statut, aujourd’hui, de précurseur de l’art moderne est, pour lui, une revanche. L’aplatissement des plans, la construction de l’espace d’arrière en avant et la maladresse apparente en ont fait, avec Paul Gauguin, la coqueluche de la jeune avant-garde du début du XXe siècle, de Picasso à Kandinsky en passant par Delaunay. L’atmosphère de la manifestation est propice à la rêverie. De Paris jusqu’à la lointaine jungle, le visiteur s’évade dans l’imaginaire poétique du Douanier Rousseau.
HENRI ROUSSEAU, jusqu’au 9 mai, Fondation Beyeler, 101, Baselstrasse, 4125 Riehen/Bâle, Suisse, tél. 41 61 645 97 00, www.beyeler.com , tlj 10h-18h, mercredi 10h-20h. Catalogue, éd. Hatje Cantz Verlag, 120 p., 82 ill. en couleurs, env. 44 euros, ISBN 978-3-7757-2537-8 (en allemand) et ISBN 978-3-7757-2536-1 (en anglais)
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La fraîcheur du Douanier Rousseau
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires : Philippe Büttner, conservateur à la Fondation Beyeler ; Christopher Green, professeur émérite d’histoire de l’art au Courtauld Institute of Art, à Londres
Nombre d’œuvres : 40
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : La fraîcheur du Douanier Rousseau