TOULOUSE
Une collection privée couvrant plus d’un siècle de photographie latino-américaine inaugure la nouvelle programmation de la fondation toulousaine.
Toulouse. Avec « Les paradis latins : étoiles sud-américaines », la Fondation Bemberg inaugure ses espaces dévolus aux expositions temporaires et ouvre sa programmation à la photographie, absente de ses collections. Alfred Pacquement, président de la Fondation, et Ana Debenedetti, sa directrice, rappellent que son fondateur, Georges Bemberg (1915-2011), est né à Buenos Aires dans une dynastie d’industriels d’origine allemande installée en Argentine. « Un retour aux origines », soulignent-ils, pour cette exposition de photographie sud-américaine placée sous le commissariat d’Alexis Fabry et qui réunit 200 images issues de la collection de Leticia et Stanislas Poniatowski. Démarré il y a une vingtaine d’années, ce fonds photographique est devenu l’une des collections référentes concernant l’Amérique du Sud.
L’intérêt du couple de collectionneurs pour cette partie du continent américain est lié à leur histoire familiale respective. « La princesse est née en Argentine et a des liens de parenté avec Georges Bemberg, et une partie de la famille de Stanislas Poniatowski a émigré au début du XXe siècle », explique Alexis Fabry, commissaire de plusieurs expositions sur cette scène photographique sud-américaine. La collection des Poniatowski a ainsi déjà été exposée par lui à Bogotá, Mexico, New York et Londres ainsi qu’aux Rencontres de la photographie d’Arles de 2017. Le thème du portrait, choisi pour l’exposition de la Fondation Bemberg, couvre la période des années 1920 à nos jours et fait découvrir un pan méconnu de cette photographie : celui du glamour. Et dans ce glamour, une part prépondérante est accordée à la photographie mise en scène et/ou objet de différentes interventions : collage, peinture, déchirure…
De Cuba au Chili, en passant par le Mexique, l’Équateur, La Colombie, le Costa Rica, le Venezuela, le Pérou, le Brésil et l’Argentine, pas moins de 83 photographes ou artistes utilisant l’image sont réunis dans ces « Paradis latins ». Si l’on y retrouve des figures familières de cette scène à l’image de la Chilienne Paz Errázuriz, du Brésilien Miguel Rio Branco ou de la Mexicaine Graciela Iturbide, la plupart des photographes ou artistes sont inconnus. Il est conseillé de se laisser guider par son œil, car le parti pris de privilégier des associations générationnelles, formelles ou thématiques sans les expliciter par un texte introductif peut dérouter le visiteur peu ou pas familier de cette scène. Ainsi pour ce portrait énigmatique de la poétesse mexicaine Pita Amor aux ongles rehaussés d’un rouge vif, image réalisée par Simon Fléchine en 1950, ou pour ce mur photographié à Cuba au lendemain de la révolution par le Vénézulien Paolo Gasparini, mur recouvert d’images de stars, pochettes de disque, dessins, slogans, lettres de l’alphabet et portrait peint d’Antonio Maceo, héros de la guerre d’indépendance.
Cette plongée dans l’inconnu narre des histoires de célébrités populaires ou de l’underground. S’y lit aussi une critique de la société de consommation et des images produites par et pour la presse, la télévision ou la publicité, en particulier sur les femmes. La rue et les médias sont de fabuleux terrains pour le prélèvement de ces images que l’on arrache, colle, détourne, peint, photocopie à l’aide de maigres moyens. La nuit, les discothèques et les travestis distillent les libertés prises, les résistances et les luttes menées par des artistes, comme Agustín Martínez Castro au Mexique, ou Leonora Vicuña au Chili durant la dictature.
« Dans la photographie sud-américaine, il y a une grande porosité entre la haute et la basse culture. Il n’y a jamais eu de surplomb par rapport à la culture populaire. Au contraire, il y a une volonté de la convoquer, de s’en inspirer. Caractéristique que l’on retrouve dans la littérature et dans les arts plastiques au sens large, souligne Alexis Fabry. L’autre caractéristique tient au fait que beaucoup de ces pays ont connu la dictature, voire un parti hégémonique comme au Mexique. Nombreux ont été les photographes à documenter cette répression et à développer en parallèle un autre travail. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : La Fondation Bemberg entre aux « paradis latins »