Le Musée des beaux-arts de Valenciennes confronte les techniques de dessin de deux géants du XIXe siècle, Honoré Daumier et Jean-Baptiste Carpeaux.
VALENCIENNES - A priori tout les sépare. Honoré Daumier (1808-1879), satiriste autodidacte, et Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), sculpteur de formation strictement académique, sont réunis au Musée des beaux-arts de Valenciennes (Nord) sous un prétexte audacieux. Tous deux adeptes de la chronique du quotidien, Daumier et Carpeaux étaient des dessinateurs effrénés, le premier, spécialiste du croquis de mémoire, le second, virtuose du dessin exécuté sur le vif. L’exposition de Valenciennes met en scène un dialogue technique entre ces artistes qui, s’ils n’appartenaient pas au même sérail, envisageaient chacun le dessin d’une manière très personnelle.
Ville natale de Jean-Baptiste Carpeaux, Valenciennes dispose de l’un des plus grands ensembles de feuilles de l’artiste, parmi lesquels une centaine de carnets de croquis inédits. Cette exposition fait ainsi le choix judicieux de valoriser un fonds précieux en regard de prêts non moins estimables provenant d’établissements français et internationaux. La volonté de confronter l’artiste valenciennois avec Honoré Daumier, parangon de la caricature acerbe, pourrait au premier abord apparaître artificielle – les expositions de dessin ne sont pas non plus les plus faciles à appréhender. Or la confrontation n’est pas ici exclusivement formelle, en témoigne un parcours thématique à la scénographie originale, où les sujets de prédilection des deux artistes se font écho – les rues parisiennes vues comme scènes de spectacle ; les représentants de classes ouvrières et défavorisées ; la maternité et l’enfance ; l’histoire contemporaine… Tandis que Carpeaux flâne, saisit tout au vol, carnet de notes en main, Daumier croque de mémoire des physionomies à caractère universel, traduisant le regard, le geste, ou l’imperceptible haussement de sourcil révélateurs d’une personnalité. Chacun à leur manière, ils se révèlent d’excellents chroniqueurs de leur époque, infaillibles témoins de l’évolution des mœurs, des dégâts causés par l’injustice sociale ou les querelles politiques. Leur virtuosité à retranscrire la fugacité du geste y est pour beaucoup. Les danseuses de Carpeaux, par exemple, n’ont rien à voir avec celles de Degas, lui aussi fervent adepte du dessin et de la captation du mouvement. Or ce dernier, disciple d’Ingres, analyse : il trace, efface, retrace, jusqu’à atteindre le geste parfait. Chez Carpeaux, qui détestait la photographie, l’ivresse du geste l’emporte sur la représentation. Comme il en fait la démonstration avec sa célèbre sculpture ornant la façade de l’Opéra-Garnier à Paris, il ne dessine pas des danseurs, mais la danse, son intention et son instantanéité.
Chaque matin, Carpeaux saisissait une motte d’argile et s’entraînait à modeler une figure les yeux fermés. Présent en filigrane dans tout son œuvre, ce mode de perception inhérent au sculpteur finit par vampiriser totalement ses dernières feuilles, celles des années 1870, où la forme émerge d’un contenu hautement graphique. Ce geste répétitif et son accélération se retrouvent à la même époque chez Daumier. Rares sont les moments où l’on a la possibilité d’accéder aux premières pensées des artistes, à leurs idées les plus personnelles. Carpeaux disait lui-même à propos de ses esquisses : « Ce sont des chiffons sans valeur, mais il y a là-dedans l’expression de mes pensées les plus intimes. Ceux qui pourront y lire tout ce que j’ai senti auront fait un pas dans leur carrière artistique ou dans leur éducation d’observation. » Les expositions de dessin demandent un effort supplémentaire d’attention au visiteur. Mais elles permettent de partager l’intimité de l’artiste
- Commissaire : Emmanuelle Delapierre, directrice du Musée des beaux-arts de Valenciennes
- Nombre d’œuvres : 213 dessins, croquis, lithographies, bronzes… (157 pour Carpeaux, 56 pour Daumier)
- Organisation : en collaboration avec le Musée d’Orsay et l’École nationale supérieure des beaux-arts, Paris
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La finesse du trait
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 11 janvier 2009, Musée des beaux-arts, bd Watteau, 59300 Valenciennes, tél. 03 27 22 57 20, www.valenciennes.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, 10h-20h le jeudi. Catalogue, éd. Illustria, Deauville, 200 p., 300 ill. couleurs, 35 euros, ISBN 978-2-912241-139.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°289 du 17 octobre 2008, avec le titre suivant : La finesse du trait