PARIS
Tandis que le Musée Marmottan Monet présente une passionnante exposition sur « La Toilette, naissance de l’intime », le Musée d’Orsay programme la rétrospective de l’un des plus grands peintres intimistes modernes : Pierre Bonnard.
Les thèmes du bain et de la femme à sa toilette croisent ou confondent leurs sources mythologique, symbolique et réaliste dès les temps lointains de l’Antiquité. À la Renaissance, qui leur accorde une attention privilégiée, ils s’imposent comme un motif iconographique incontournable pour perdurer jusqu’à nos jours. Qu’elle soit représentée en pleine nature ou dans l’intimité de son intérieur, qu’elle soit allégorique, individualisée ou narrative, la figure féminine y est le prétexte à toutes sortes de morceaux de peinture, sinon d’autres médiums tels que la sculpture, la tapisserie, le collage, voire la photographie. Autant de styles, de manières et de résolutions plastiques qui nourrissent l’histoire des arts et, pour partie, fondent la modernité. Des gravures de Dürer ou des peintures de l’École de Fontainebleau à la série des Bathrooms du pop artiste Tom Wesselmann dans les années 1960 ou des photographies de Bettina Rheims, les exemples sont nombreux qui actent cette irrésistible propension des artistes à sublimer leur motif pour faire éclater la singularité de leur art et l’inscrire à travers ces thèmes à l’ordre de l’Histoire.
Une approche autant artistique que sociologique
Par la nature de leur propos, les thèmes du bain et de la femme à sa toilette sont des sujets qui ont conduit le regard à pénétrer une certaine forme d’intimité. Au fil des époques et des changements sociétaux, il en a intégré l’indiscrétion pour les banaliser sans que, pour autant, il n’en soit pas interpellé. Sans que cela ne le bouscule parfois en son for intérieur, voire que telle ou telle proposition ne fasse scandale. C’est que ce sont là des thèmes qui ouvrent sur l’intime, au sens puissamment superlatif du mot « intérieur ». En matière de représentation artistique, le bain et la toilette sont à l’origine de « la naissance de l’intime », comme vise à le formuler l’exposition du Musée Marmottan Monet, en mettant en exergue tout un ensemble d’œuvres du XVe à nos jours qui soient le reflet de pratiques quotidiennes, ordinairement hygiéniques, ici et là rituelles. Dès lors qu’il s’agit de parler d’intime, on atteint quelque chose des profondeurs de l’être, de la partie même de son âme. Le bain et la toilette se chargent alors d’une dimension supérieure, et l’on comprend mieux combien les artistes qui abordent ces thèmes quêtent une transcendance.
Conçue par deux universitaires historiens d’art, Nadeije Laneyrie-Dagen et Georges Vigarello, tous deux spécialistes des questions relatives aux corps, à ses pratiques et à ses représentations, l’exposition du Musée Marmottan Monet met l’accent sur la façon dont les changements majeurs d’hygiène et d’entretien de soi au fil du temps ont participé à l’approfondissement de cette notion d’intime. Les onze chapitres qui en scandent le déroulement en trois temps majeurs – de la Renaissance jusqu’à la chute de l’Ancien Régime, puis le XIXe siècle et enfin du XXe à nos jours – traversent toutes sortes de considérations critiques, que ce soient des questions d’ordre social, individuel, spatial ou économique. On y prend ainsi la mesure du glissement des thèmes d’une iconographie illustrative et littéraire où ceux-ci sont les prétextes à la célébration d’une forme de beauté absolue vers une représentation davantage réaliste et privée dans des espaces de plus en plus clos et des plans de plus en plus rapprochés du corps. On y prend aussi la mesure d’une diversité sociologique quant au traitement des thèmes, de la femme choisie au modèle le plus populaire. Par ailleurs, comme le soulignent eux-mêmes les commissaires, cette exposition développe somme toute un « immense parcours où l’intimité, d’abord limitée aux marges de l’habit, a construit avec l’univers moderne un espace instrumenté, spécifique, et des gestes particuliers où cette même intimité, d’abord surprise par le regard étranger, a acquis suffisamment d’assurance pour mettre, aujourd’hui, ce même regard au défi ».
De l’idéal au trivial, du social au privé, du formel au sublime, l’histoire des thèmes mêlés du bain et de la femme à sa toilette nous en apprend tout autant sur l’évolution de nos mentalités que sur celle de l’art dans sa recherche permanente d’une liberté et d’une innovation. Des figures de Vénus et de jeunes femmes à leur toilette en train de se baigner, de se coiffer, de se maquiller ou de s’habiller – qu’elles soient peintes, sculptées ou photographiques, anonymes ou signées de La Tour, Boucher, Manet, Degas, Bonnard, Picasso, Gonzalez ou Erwin Blumenfeld –, il ressort qu’au fil du temps les artistes ont surtout cherché à abolir petit à petit toute frontière entre l’art et la vie…
« La Toilette, naissance de l’intime », jusqu’au 5 juillet 2015. Musée Marmottan Monet. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs : 11 et 6,5 €. Commissaires : Georges Vigarello et Nadeije Laneyrie-Dagen. www.marmottan.fr
« Degas, un peintre impressionniste ? », du 27 mars au 19 juillet 2015. Musée des impressionnismes à Giverny (27). Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h. Tarifs : 7 et 4,5 €. Commissaires : Marina Ferretti et Xavier Rey. www.mdig.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : La femme à sa toilette, entre rêve et réalité