Le Musée du Louvre expose les œuvres chères à l’historien de l’art Antoine Schnapper, décédé en 2004.
PARIS - C’est à la curiosité insatiable d’Antoine Schnapper (1933-2004) que l’on doit la redécouverte d’artistes du XVIIe siècle comme Nicolas Mignard, Jean Jouvenet ou Joseph Parrocel. Élaborée par Jean-François Méjanès, conservateur en chef au département des Arts graphiques au Musée du Louvre, l’exposition « Connaisseur et “curieux” » rend hommage à l’historien de l’art disparu l’été dernier. Elle se concentre sur les dessins de sept artistes issus des collections du musée, qu’Antoine Schnapper avait, le premier, publié ou reproduit dans ses ouvrages de recherche.
Désigné par Schnapper comme « l’un des peintres français les plus importants de sa génération », Nicolas Mignard (1606-1668) est l’auteur de dessins dont la majorité n’a jamais été exposée à Paris. Sont ici présentées ses études à la sanguine pour des retables de diverses églises (l’église Saint-Symphorien à Avignon, l’église Saint-Jean-de-Malte à Aix-en-Provence…) et ses études de drapés, comme l’élégant Études d’un homme debout drapé et s’appuyant sur un livre ouvert, en préparation de la figure de saint Joseph dans le Mariage mystique de sainte Catherine (1651) pour l’église Notre-Dame de Villeneuve-lès-Avignon. Son frère cadet, Pierre Mignard (1612-1695), mena une carrière plus enlevée. À la mort de Charles Le Brun, il fut nommé « premier peintre » de Louis XIV pour lequel il réalisa les derniers décors de Versailles, dont les études préparatoires furent identifiées par Antoine Schnapper dans les collections du Louvre. On remarque ici son Projet pour la décoration de la coupole des Invalides (1690), abandonné en 1691 à la mort du ministre de la Guerre, Louvois, au profit de celui conçu et peint entre 1703 et 1706 par Charles de La Fosse (1636-1716). Réalisée à la sanguine et pierre noire par ce dernier, Études d’anges musiciens en est une exquise feuille préparatoire.
Une salle entière est consacrée aux études pour les décors de la galerie d’Énée au Palais Royal, signées Antoine Coypel (1661-1722), artiste à l’origine d’un renouveau de l’art décoratif français. Peinte entre 1703 et 1705, et détruite en 1781, la voûte représentait une « assemblée des dieux », identifiée par Schnapper comme Vénus implorant Jupiter en faveur d’Énée. Une vingtaine de ces dessins sur papier quadrillé, sur la centaine que comptent les collections du musée, est présentée. Coypel, usant de pierre noire et sanguine, offre une galerie de portraits mythologiques où un Bacchus rieur contraste joyeusement avec un Jupiter solennel.
À Coypel succède Louis de Boullogne (1654-1733) au titre de premier peintre du jeune roi Louis XV en 1724. Schnapper appréciait « ses tableaux religieux […] d’inspiration classique et son œuvre mythologique dont la grâce un peu langoureuse est déjà rococo ». En témoignent plusieurs feuilles sur la vie de saint Augustin (Saint Augustin guérit un malade, Conversation de saint Augustin, Saint Augustin sacré évêque…) et plusieurs scènes à la volupté caractéristique du début du XVIIIe siècle (Deux nymphes endormies, Repos de Diane après la chasse…). Une sensualité absente des œuvres des peintres religieux Jean Jouvenet (1644-1717) et Joseph Parrocel (1646-1704), issu d’une dynastie d’artistes provençaux. Parfois à la limite de l’abstraction, le style de ce dernier peut surprendre (Vendeurs chassés du Temple, Le Diable tente Jésus jeûnant sur la montagne), mais il se révèle virtuose lors de foisonnantes scènes historiques comme La Prise de Maastricht. Tous ces artistes sont aujourd’hui réunis grâce au travail acharné d’Antoine Schnapper. À défaut de laisser rêveur, la richesse de ces redécouvertes devrait inspirer de nombreuses vocations. Un flambeau à reprendre.
Antoine Schnapper (1933-2004) a débuté sa carrière d’historien de l’art sous les meilleurs auspices. D’abord élève, puis assistant, d’André Chastel, il fut chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Après un passage à l’université de Dijon, il enseigna à Paris IV pendant une vingtaine d’années. Nombreuses sont les générations de doctorants en histoire de l’art qui ont bénéficié de son tutorat éclairé. Ses ouvrages sur la peinture française aux XVIIe et XVIIIe siècles sont aujourd’hui devenus des références, car cet authentique chercheur levait le voile sur de nombreux artistes méconnus. On lui doit d‘importantes expositions telles « Peintres de Louis XIV » en 1968 à Lille ou celle consacrée à Jacques-Louis David en 1989 au Louvre. Ces manifestations étaient l’occasion de présenter le résultat de ses recherches sur des peintres oubliés comme « Nicolas Mignard d’Avignon » (1606-1668), au Palais des papes d’Avignon en 1979, qui fut accompagné d’un catalogue raisonné. Mais il fut également le premier historien à s’intéresser à l’étude du collectionnisme, très en vogue au XVIIe siècle, sur lequel il publia chez Flammarion deux tomes réunis sous le titre Collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle (« Le géant, la licorne et la tulipe : histoire et histoire naturelle », 1988, et « Curieux du Grand Siècle : œuvres d’art », 1994). Membre fondateur de la maison d’éditions culturelles Arthena, il laisse un dernier ouvrage, Le Métier de peintre au Grand Siècle, publié à titre posthume chez Gallimard, une étude richement documentée sur le statut de l’artiste au XVIIe siècle (lire le JdA n° 202, 5 novembre 2004).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La curiosité est un brillant défaut
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 2 mai, Musée du Louvre, 34, quai du Louvre, 75001 Paris, 01 40 20 53 17, www.louvre.fr, tlj sauf mardi et jeudi, 9h-17h30, mercredi et vendredi, 9h-21h30.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : La curiosité est un brillant défaut