Directeur du Musée de l’abbaye Sainte-Croix, Didier Ottinger avait proposé l’an passé une rêverie solidement argumentée sur le thème du toucher, intitulée \"Haptisch, la caresse de l’œil\". Avec une logique certaine, il poursuit cet été sa réflexion, avec une exposition consacrée à la chair et à la viande.
LES SABLES-D’OLONNE - Si le titre de l’exposition, "La chair promise", est délibérément sacrilège, le propos qu’il recouvre ne l’est pas moins. La chair, impure, et sa représentation, obscène, restent scandaleuses. Puritanisme oblige, tout un pan de l’art contemporain a voulu, ces dernières années, se désincarner, oublier la leçon du sang et les vibrations du corps. Dans un mouvement pendulaire, dont la régularité n’échappe plus à personne, et que nul ne songe à réprouver, les artistes en ont redécouvert le trouble.
Le propos de Didier Ottinger n’est certainement pas d’en faire l’apologie indifférenciée : en présentant des études anatomiques de David d’Angers et de Gautier d’Agoty, des peintures de Pablo Picasso et Fernand Léger ou encore de Jean Hélion, il entend ne pas limiter l’exposition à un simple constat contemporain. "L’art actuel, écrit-il dans sa préface, semble avoir pris le parti de la laideur et de l’abjection viscérale.
Cet attrait pour l’horreur serait-il consubstantiel à l’art moderne, né, nous disait Georges Bataille, du divorce de la notion d’art et de celle de beauté ?" La représentation de la chair marquait autrefois la frontière entre l’académisme et la modernité. De Rembrandt à Soutine, en passant par Géricault, dont l’atelier était encombré de fragments sanguinolents, les écorchés étaient comme une réponse "aux images trop parfaites d’une humanité désincarnée par la mise en équation praxitélienne ou une épilation à la Bouguereau".
Si jusqu’à Bruce Nauman, dont on regrettera certainement l’absence dans cette exposition, l’incarnation est bien "la preuve visible d’un art enraciné dans le réel et l’existence humaine", il n’est pas certain que ce soit le cas encore aujourd’hui. Les images de Sandy Skoglung, de Miguel Egana ou de Pierre Mercier prêtent beaucoup d’attention à la surface des choses. Et la facture de leurs œuvres, qui confinent parfois à l’exercice rhétorique, omettent de s’exposer à la dégradation de leur propre matière. Quand elle devient littérale, la représentation de la chair verse aussi bien dans l’académisme.
Le filtre d’un corps
On ne manquera pas de se reporter au catalogue, qui se veut à la fois scientifique et littéraire, avec, notamment, des textes de Jean-Yves Cendrey, Denis Hollier, Pierre Michon et Eugène Savitzkaya. Dans des Variations sur l’incarnat, Michel Onfray affirme savoir "qu’il n’est de goûts et de dégoûts en matière esthétique, au sens large du terme, qu’après le filtre d’un corps qui absorbe ce qu’il peut d’un fait. Devant l’œuvre, poursuit-il, le travail du sujet est d’abord celui d’une chair qui regarde, écoute, goûte, touche, met en œuvre des sens." L’examen de la chair ne saurait être mené à bien sans les hommages de Priape.
"La chair promise", Musée de l’abbaye Sainte-Croix, jusqu’au 30 septembre.
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La Chair promise à un bel avenir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : La Chair promise à un bel avenir