Neuvième du nom, la Biennale d’art contemporain de Lyon 2007 a fait le choix du non-choix en confiant à une cinquantaine de partenaires la sélection des artistes. Amalgame désorganisé.
La planète art contemporain n’est plus ce qu’elle était. S’il fut un temps, pas si éloigné que cela, où l’on pouvait compter sur les doigts de ses mains et de ses pieds le nombre de biennales organisées à travers le monde, ceux-ci ne suffisent plus. Selon le calcul qu’il en a fait, Thierry Raspail, directeur artistique de la Biennale de Lyon, n’en décompte aujourd’hui pas moins de cent dix, sur le rythme effréné d’une par semaine, « chacune recouvrant et annulant la précédente ». De fait, pour l’amateur d’art contemporain, l’été 2007 aura ressemblé à un véritable marathon. Après Venise, la Documenta, Münster et Istanbul, c’est à Lyon qu’il lui faut maintenant se rendre.
Histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée
Créée en 1991, la Biennale d’art contemporain de Lyon n’a pas tardé à s’imposer comme l’un des rendez-vous attendus de la scène artistique internationale. Harald Szeemann et Jean-Hubert Martin en ont été parmi d’autres les commissaires, lui conférant une aura certaine.
Depuis 2003, ainsi que le note Thierry Raspail en préface du catalogue du présent cru, la biennale s’est « engagée sur le terrain de la temporalité, mot-valise aussi générique que malléable, c’est-à-dire plastique, qui eut d’abord pour objet moins de rendre compte de l’actualité que d’essayer d’en cerner les composantes ».
Pour 2007, Thierry Raspail décide d’aborder la question de l’actualité parce que, pour lui, « distinguer le présent de l’actualité, c’est l’enjeu crucial de l’aujourd’hui ». À cette fin, il a invité Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist, deux critiques d’art et « curators » particulièrement actifs depuis une dizaine d’années, à brosser un panorama de cette actualité compte tenu des phénomènes de mondialisation et de globalisation auxquels n’échappe évidemment pas le monde de l’art contemporain. Pas plus du moins que n’importe quel autre secteur de l’activité humaine.
Après « C’était demain » en 2003 et « L’expérience de la durée » en 2005, les deux jeunes commissaires ont choisi de placer la Biennale de Lyon 2007 sous l’intitulé délibérément énigmatique de « 00s – l’histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée ». Une façon de l’inscrire dans une trilogie sur le temps en s’appliquant à exposer cet « aujourd’hui » qui caractérise la première décennie du siècle et du millénaire (comme s’il allait de soi que toute histoire se contait à l’ordre du rythme décennal et que toute décennie méritait de l’histoire !).
Un jeu (la Biennale), une équipe (les « curators ») et des jouets...
Pour ce faire, Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist ne se sont pas mis personnellement à la tâche de sélectionner eux-mêmes les œuvres, mais se sont adjoints les services de quarante-neuf « curators », « éminents critiques et commissaires venus du monde entier » ainsi que ceux de certains écrivains et artistes. La Biennale conçue dès lors comme un grand jeu, ils ont constitué une équipe, qualifiant les uns et les autres de « joueurs », les répartissant en deux cercles et les invitant chacun à répondre à un cahier de charges précis. Afin d’éviter qu’il n’en résulte un tout par trop mêlé, les « curators » chefs ont proposé à leurs quarante-neuf adjoints de jouer le jeu en répondant à la question : « Quel(le) est selon vous l’artiste essentiel de cette décennie ? » et aux autres de donner une définition du présent.
On peut s’interroger non seulement sur le sens d’une telle délégation en cascade, mais aussi sur la notion de jeu qui préside au concept d’ensemble de cette Biennale de Lyon – notamment cette façon inadmissible de considérer les artistes ni plus ni moins comme de simples jouets ! En agissant de la sorte, Thierry Raspail, Stéphanie Moisdon et Hans Ulrich Obrist auraient-ils voulu signifier par là leur totale adhésion à un système prétendument démocratique et à une pratique médiatico-populiste qui consiste au jeu des palmarès, ils ne s’y seraient pas pris autrement.
Le résultat en effet, distribué sur les quatre sites de la Sucrière, du musée d’Art contemporain et de la fondation Bullukian à Lyon et de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, est franchement décevant. Le cru 2007 de la Biennale de Lyon relève d’un nivellement par le neutre et le moyen, n’offre à vivre, à quelques rares exceptions près, aucune possibilité de coups de cœur et manque cruellement d’occasions de plaisir. Comme s’il était d’ores et déjà écrit que cette « décennie qui n’est pas encore nommée » était creuse, aride et ennuyeuse et que seul valait, pour en sauver quelque chose, non le travail des artistes mais le regard porté sur eux par ceux dont on serait en droit d’attendre qu’ils soient à leur service et non l’inverse.
1991 Première édition de la Biennale sur le thème de «”‰L’amour de l’art”‰». 1993 « Et tous ils changent le monde ». Commissaire : M. Dachy. 1995 « Interactivité, image mobile, vidéo ». Commissaire : G. Rey. 1997 « L’autre ». Commissaire : H. Szeemann. 2000 « Partage d’exotismes ». Commissaire : J.-H. Martin. 2001 « Connivence ». Commissaires : A. Bertrand, J.-M. Chapoulie, Y. Chapuis, L. Dreyfus, K. Hersche, R. Robert et G. Walter. 2003 « C’est arrivé demain ». Commissaires : Le Consortium, Dijon. 2005 « Expérience de la durée ». Commissaires : N. Bourriaud et J. Sans. 2007 « OOs – l’histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée ». Commissaires : S. Moisdon et H. U. Obrist.
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La Biennale de Lyon fait banqueroute
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°596 du 1 novembre 2007, avec le titre suivant : La Biennale de Lyon fait banqueroute