Les Musées royaux d’art et d’histoire reviennent sur architecture et mobilier qui ont fait de Bruxelles la capitale du mouvement.
BRUXELLES - La Belgique, qui fête cette année ses 175 ans, a donné naissance à l’un des plus importants courants européens d’architecture et de décoration intérieure, l’Art nouveau. En ces jours de célébrations nationales, cette révolution esthétique de la fin du XIXe siècle est au cœur d’une exposition didactique et grand public aux Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, « Art nouveau et design, les arts décoratifs de 1830 à l’Expo 58 ».
Concept artistique total se déclinant de la bouche d’aération à la petite cuiller, l’Art nouveau marque une véritable rupture avec la tradition belge du XIXe siècle. Inspiré de la nature, il est empreint de lignes végétales aux larges arabesques, et innove avec des matériaux de couleurs claires, le tout dans un style aérien. L’héritage gothique se retrouve pourtant dans l’usage de vitraux ou de bois sculptés car ce style, selon Anne Cahen-Delhaye dans la préface du catalogue de l’exposition, est une charnière et non un « miracle » de l’art belge. Cette idée de passerelle esthétique reliant le XIXe au XXe siècle est au cœur du parcours de l’exposition, qui manie allègrement les métaphores. En guise d’introduction, un arc formé de chaises suspendues décline ainsi les styles significatifs de la période couvrant 1830 à 1958 : le visiteur est littéralement invité à monter en selle pour une balade à travers les âges. S’ensuit un long couloir sombre où se succèdent diverses pièces de traditions néogothique, éclectique et néo-Renaissance dans lesquelles le pays, qui en est à ses premiers balbutiements, demeure enfermé. Ce confinement, mais aussi l’éloignement chronologique, sont matérialisés par un mur percé de baies vitrées derrière lesquelles sont reconstituées plusieurs pièces à vivre que le visiteur regarde « de loin ».
Passé ces prémices, l’Art nouveau éclate enfin en 1893, sa légèreté et sa fluidité s’épanouissant cette fois, dans une salle grande et lumineuse. Les plus grands maîtres y sont réunis : le rationalisme constructif du mobilier ouvrier de Gustave Serrurier-Bovy précède la ligne « en coup de fouet » de Victor Horta, dont l’architecture révolutionnaire n’a plus de secret pour les Bruxellois – la recherche d’harmonie de ce chef de file concernait non seulement la ligne, mais aussi le chromatisme et la matière. De son côté, Henry Van de Velde propose une ligne plus ferme et nerveuse, parfaitement évoquée par un de ses somptueux candélabres en bronze argenté. Devenu presque instantanément populaire, l’Art nouveau obtient la consécration à l’Exposition universelle de 1897 à Bruxelles. Forte d’une nouvelle identité nationale, la Belgique célèbre un style qui va marquer les plus forts symboles de ses conquêtes coloniales. En témoignent des tapisseries en soie brodée d’Hélène De Rudder illustrant des scènes tribales, sans oublier de surprenantes défenses d’éléphant gravées serties dans du bronze aux courbes végétales… Mais la surenchère menace, trop d’Art nouveau tue l’Art nouveau. Dès 1900, l’abondance de boucles fait place à une nouvelle rigueur, une évolution clairement visible dans les pièces signées Léon Sneyers, Paul Hankar, Georges Hobé et Oscar Van de Voorde.
Matériaux nobles et moins nobles
Clin d’œil de la scénographie, les cimaises – longeant le chemin sinueux du parcours menant jusqu’au modernisme – sont percées de minces ouvertures, un rappel de l’impact de l’Art nouveau sur l’évolution du design au cours du XXe siècle. L’Art déco s’installe pleinement après la Première Guerre mondiale et sa géométrie n’empêche pas le choix de matériaux riches, comme la célèbre table ronde en érable de Marcel Louis Baugniet (1925), et le service à café et à thé en argent et en bois de Delheid frères (vers 1930-1939).
Produit en masse, le design, ou cette fameuse adéquation entre la fonction et la forme, présente des matériaux moins nobles qui, plusieurs décennies après, ont malheureusement mal vieilli. Un bureau de Joseph de Bruycker, une chambre à coucher de Lucien François, sans oublier les chaises tubulaires de Louis-Herman de Koninck et les fauteuils d’aéroport d’Alfred Hendrickx sont autant de modèles de fonctionnalité, d’usage de matériaux nouveaux et d’invention. De somptueuses vitrines oblongues renfermant vases et vaisselle ajoutent un soupçon de luxe et d’élégance à l’expérience qui s’achève sur une Table Picnik (2002) signée Dirk Wynants et Xavier Lust. Le musée entend présenter par roulement une dizaine d’exemples de design contemporain jusqu’à la fin de l’exposition. Car l’histoire du design est toujours en marche.
Jusqu’au 31 décembre, Musées royaux d’art et d’histoire, 10, parc du Cinquantenaire, Bruxelles, tél. 32 2741 7300, www.kmkg-mrah.be, tlj sauf lundi 10h-17h, fermé le 1er et 11 nov. et le 25 déc. Catalogue, éd. Racine/Lannoo, Bruxelles, 200 p., 300 ill., ISBN 2-87386-392-7, 29,95 euros. A/R Paris-Bruxelles, www.thalys.com - Commissaire : Claire Leblanc - Scénographie : Scenography (Bruxelles) - 60 artistes et manufactures - environ 400 œuvres dont une grande partie issue des collections des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles p Superficie : 1 200 m2
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La Belgique célèbre l’Art nouveau
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Abonnez-vous dès 1 €Pour les plus assidus, désireux d’explorer l’aspect technique de l’architecture Art nouveau, le Musée d’architecture/La Loge revient sur les façades d’immeubles dont Bruxelles regorge. La fin du XIXe siècle témoigne d’une grande évolution sur le plan technique et voit se développer la ferronnerie pour les balcons (à laquelle succédera la fonte, plus adaptée à la production en série), le vitrail, grâce aux trouvailles de Louis Comfort Tiffany à New York, mais aussi le petit granit, plus dense et résistant que la pierre de taille, et la céramique. Didactique, le parcours de l’exposition offre quelques démonstrations comme l’élaboration du « sgraffite », une fresque moderne dont le motif décoratif naît de l’incision d’une superposition de couches d’enduits colorés. « La façade Art nouveau, une œuvre d’art totale », jusqu’au 23 décembre, Musée d’architecture/La Loge, 86, rue de l’Ermitage, Ixelles, Bruxelles, tél. 32 2649 8665, www.aam.be, tlj sauf lundi et jours fériés, 12h-18h, 12h-21h le mercredi.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°217 du 10 juin 2005, avec le titre suivant : La Belgique célèbre l’Art nouveau