Entre les quatre murs du château de Kerguéhennec, art et architecture se confrontent et s’apprivoisent lors de deux démonstrations.
KERGUÉHÉNNEC - En intitulant son exposition estivale « Mur/Murs », il est clair qu’Olivier Delavallade, le directeur du Domaine de Kerguéhennec, a souhaité mettre en avant le thème du dialogue. Dialogues entre les neuf artistes sélectionnés, mais aussi dialogues entre ces derniers et le château du domaine.
Car si les murs ont des oreilles, ils ont aussi une mémoire. Au rez-de-chaussée ils ont gardé l’esprit Renaissance (la construction date du début du XVIIIe) au travers notamment de peintures murales aux motifs floraux récemment restaurées. Au premier étage, ils ont été totalement repeints en blanc dans un décor (plafond, boiserie), datant lui du XIXe, idéal pour accueillir dans les neuf espaces, un pour chaque artiste, leurs propositions de rencontre avec l’architecture. Et sur les murs, les interventions sont toutes très variées.
Relation entre peinture et architecture
Ainsi, Bien peint/Mal peint de Christophe Cuzin, datée de 2000, appartenant au Fonds régional d’art contemporain (Frac) alterne tout au long du couloir, différents murs peints chacun d’une couleur différente (vert, gris, orange, rouge…) tantôt impeccablement réalisés, tantôt volontairement mal faits, badigeonnage, coulures, débordements comme l’indique son titre. L’œuvre est la seule déjà existante, réactualisée ici. Toutes les autres ont été spécialement réalisées pour l’occasion en fonction du lieu et même à partir de lui pour certaines. Max Charvolen, par exemple, a dans un premier temps fait des moulures de différents éléments décoratifs de l’entrée des anciennes cuisines avec des fragments de toiles enduits de résine acrylique. Il a ensuite aplati ces reliefs colorés et les a accrochés aux murs de sa salle, histoire de faire basculer des fragments d’architecture et de mettre cette dernière à plat de façon très picturale. Une façon aussi de reproduire et de figurer une forme abstraite. Un peu dans le même registre, Gilgian Gelzer s’est inspiré du motif d’un bassin, qu’il reproduit plusieurs fois, déforme et fait s’entrecroiser. Christian Lhopital a, lui, carrément pris l’option figurative, avec son intervention intitulée La rumeur des spectres, jour et nuit. Il a directement dessiné sur les murs, se servant de leur blanc comme d’un fond pour évoquer des motifs de fleurs et surtout une ribambelle d’animaux hybrides, irréels, de formes fantomatiques en sarabande. Il est le seul à avoir choisi cette direction. Tous les autres ont pris le parti de l’abstraction. Dans la pièce à côté, David Tremlett, grand spécialiste de peintures murales, a joué sur la géométrie et l’architecture en combinant avec calcul et rigueur rectangles horizontaux, lignes verticales, courbes en plein cintre. Avec un très beau travail de matière, de texture et de tonalités – de la graisse graphitée pour les gris-noir et des pastels pour les vert émeraude et gris clair ou foncé –, il conjugue avec une grande aisance, brillance, reflets et matité. C’est aussi un savant calcul qui est à l’origine de l’intervention de Soizic Stokvis : elle reproduit la même composition, conçue sur ordinateur, sur les différents murs mais en la déformant, en jouant sur l’échelle et les couleurs, le blanc comme resté en réserve, le rouge en aplat, le jaune en ligne. Du calcul et du jaune : tels sont également les ingrédients d’Olivier Nottellet qui, avec humour, pose la question du cadre, du tableau blanc monochrome sur fond citron comme celui, réel de la fenêtre sur fond de verdure.
C’est encore un mur qui, joli paradoxe, permet le passage à l’exposition personnelle de Paul Wallach (né en 1960 à New York, il vit à Paris) présentée, elle, dans les anciennes écuries. Après avoir été en partie présentée au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne (fin 2014-début 2015), elle est seulement, et étonnamment, la deuxième de cet artiste, pourtant passionnant, dans une institution française. Un mur donc sur lequel Wallach a dessiné une écriture et qui répartit de chaque côté une dizaine d’œuvres. Qu’elles soient posées au sol, accrochées aux murs, installées au milieu de l’espace, elles témoignent toutes, avec des matériaux très simples (bois, acier…) d’une formidable recherche sur l’aléatoire, l’équilibre, la pesanteur et la lévitation. Véritable défi à la stabilité, elles posent une question – comment tiennent-elles ? – et s’appuient sur les notions de hasard, de précarité, d’accident, d’insoupçonné. Avec la délicatesse qui le caractérise, Paul Wallach lui aussi murmure. Il chuchote même.
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À Kerguéhennec, les murs murmurent
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Abonnez-vous dès 1 €Paul WALLACH, WHERE WHAT WAS (Ecuries) jusqu’au 1er novembre, Domaine de Kerguéhennec, 56500 Bignan, tél.02 97 6O 31 84, www.kerguéhennec. fr, tlj 11h-19h, et à partir du 23 septembre mercredi-dimanche 12h-18h, entrée libre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : À Kerguéhennec, les murs murmurent