Pionnière de la photographie artistique, elle a recherché la « beauté » dans ses portraits de célébrités et ses mises en scène, comme le montre actuellement le Jeu de paume.
Paris. Trente-huit ans après la rétrospective de Julia Margaret Cameron (1815-1879) au Centre national de la photographie, à Paris, le retour du Jeu de paume sur la brève carrière (de 1863 à 1874) de la célèbre photographe britannique fait figure d’événement par l’éclairage qu’il offre sur cette figure de la photographie britannique du XIXe siècle, au parcours et à l’œuvre si singuliers.
Quand elle quitte, en 1848, Ceylan pour l’Angleterre avec son mari et ses enfants, elle a 33 ans. Elle n’est pas encore photographe, mais elle s’intéresse aux découvertes photographiques et mène quelques expériences de tirage. C’est à Noël 1863 que sa fille et son gendre lui offrent un appareil photo. Dès sa première année d’activité, en 1864, le recours au gros plan et au flou pour les portraits de ses proches, d’artistes ou ses mises en scène sur le thème de la madone posent sa manière d’envisager le médium comme un outil artistique pour « saisir la beauté qui s’offrait à [elle] », comme elle l’écrira plus tard dans son autobiographie Annales de ma maison de verre. Elle a alors 48 ans et commence douze années de production intense, objet d’expositions en Grande-Bretagne et ailleurs. Son approche avant-gardiste, imprégnée d’iconographie religieuse de la Renaissance italienne, séduit ses contemporains et certains musées comme le South Kensington Museum [futur Victoria & Albert Museum (V&A)] qui lui achète des tirages. Seuls les membres de la Photographic Society of London critiquent sa technique.
« Julia Margaret Cameron n’a pas disparu de la scène artistique », souligne Quentin Bajac, commissaire de la rétrospective et directeur du Jeu de paume. En Grande-Bretagne, expositions et livres sont revenus régulièrement sur sa carrière tout au long du XXe siècle. En 2015, un catalogue raisonné de son œuvre a été publié par le Getty Museum – fait rare pour un photographe, surtout du XIXe siècle. L’appréciation du milieu de la photographie a rapidement évolué après sa mort. « Le temps aidant, Cameron est devenue cette figure dont on apprécie l’imperfection, l’imprécision mais aussi les mises en scène inspirées de la Bible, de la mythologie ou de la littérature, longtemps décriées avant d’être réhabilitées à partir des années 1970, car interprétées comme des anticipations de pratiques contemporaines », explique le directeur.
La rétrospective menée de concert avec Marta Weiss, conservatrice en chef de la photographie au Victoria & Albert Museum donne ainsi à voir autant les portraits que les mises en scène. Elle bénéficie par ailleurs de nombreux tirages d’époque – autre fait rare –, composés pour plus des deux tiers des collections du V&A, détenteur du fonds le plus important de ses photographies. En 2017, le transfert du fonds de la Royal Photographic Society a quadruplé le nombre de tirages déposés au musée. Le Musée d’Orsay, la Maison Victor Hugo et la Bibliothèque nationale de France ont prêté leurs propres œuvres de Cameron, dont les deux célèbres portraits de la mère de Virginia Woolf et de Vanessa Bell.
Plus d’un siècle et demi plus tard, les portraits ou les mises en scène de Cameron continuent de fasciner. La sensualité qu’expriment les portraits de jeunes femmes à la longue chevelure frappe autant par la part d’intimité que Cameron arrive à créer avec son modèle, l’intériorité du regard capté, que par l’audace de leur autrice qui assume une mise au point et/ou un tirage imprécis, que nombre de photographes revendiqueront par la suite. Le paysage, la nature morte ou l’autoportrait sont totalement absents de son œuvre ; ils ne l’intéressent pas. Pour se figurer la physionomie de la photographe, il faut se reporter aux rares portraits d’elle conservés, comme celui réalisé par son fils cadet, Henry Herschel Hay Cameron, en 1870, exposé en début de parcours.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Julia Margaret Cameron, artiste d’un autre siècle