Le street-artiste célèbre pour ses gigantesques photo-montages délaisse les contestations sur les murs en friche de la rue pour les cimaises plus académiques de la Maison européenne de la photographie.
Paris.« JR Momentum. La mécanique de l’épreuve » à la Maison européenne de la photographie (MEP) porte bien son nom. Aborder l’exposition que signent Dominique Bertinotti, le maire du 4e arrondissement de Paris, et Jean-Luc Monterosso, l’ancien directeur de la MEP, invite à être attentif à une autre signification du terme latin Momentum [ndlr, moment], « de dévoiler la dynamique du processus créatif de JR quand il intervient dans une ville ou au cœur d’une communauté pour en proposer un nouveau visage, en altérer la perception ou en offrir une lecture originale »– pour reprendre leur texte d’introduction. En réalité, il n’en est rien. Il s’agit moins de raconter « la partie immergée de son travail », et encore moins d’analyser l’évolution de ses diverses interventions dans l’espace public, que de reformuler selon les codes et modes de représentation de l’art contemporain les différentes entreprises menées par JR depuis ses débuts de tagueur sur les toits de Paris.
Ce qui est à l’œuvre dans les espaces de la MEP investis par JR et son studio, c’est cette capacité à faire spectacle et à transformer ce qui est à l’origine une œuvre participative – et bien souvent éphémère – en pièces types destinées aux galeries ou institutions libres d’être achetées ou collectionnées – comme la provenance de certaines l’indiquent sur les cartels. Le traitement scénique de Women are Heroes dans l’épure du white cube donne le ton. Lancé en 2008 en Sierra Leone, sept ans après la fin de la guerre civile, ce projet de collages de regards et de portraits géants de femmes confrontées à la guerre, aux discriminations ou aux violences conjugales, s’est poursuivi ensuite dans le monde entier. Il se concrétise en une maquette animée d’un porte-conteneurs parti du Havre pour la Malaisie en 2014 avec son chargement de caisses métalliques tapissées du regard de la jeune Kényane Elizabeth Kamanga. Des collages monumentaux et en relief de ce même bateau vu des hauteurs du Havre forment d’autres réinterprétations de l’opération.
Les autres interventions de JR qui suivent dans les deux étages supérieurs de l’institution du Marais, notamment celles à Clichy-Montfermeil, montrent à d’autres types de mises en scène, d’installations et tableaux-collages grand format du même gabarit dans un déploiement d’effets, qui relèvent davantage du du spectacle que de l’art. La vidéo murale The Gun Chronicles : a story of America réalisée en collaboration avec Time Magazine sur la question du port d’arme aux États-Unis provoque à cet effet un profond malaise par la recherche d’effets trop puissants. Quant aux photographies encadrées qui témoignent des débuts de JR comme tagueur et la mise sous verre du premier appareil photo de JR, ils semblent bien loin d’un esprit frondeur.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : JR, du spectaculaire au conventionnel