Vingt ans après la dernière grande exposition consacrée à Joseph Beuys par le Musée Guggenheim à New York, le Dia Center for the Arts invite à découvrir, à côté de diverses sculptures et installations, un ensemble de dessins inspirés par les Codex Madrid de Léonard de Vinci. Un travail d’après les maîtres inattendu.
NEW YORK (de notre correspondant) - À la fin des années soixante-dix, Joseph Beuys était devenu la pop star du monde de l’art. Avec ses installations en cuivre et en feutre, il avait créé une archéologie biographique exhumant des symboles allemands fossilisés. Qu’il ait eu une expérience douloureuse de la guerre en tant que pilote, puis comme prisonnier, et qu’il soit un prodigieux promoteur de ses œuvres, très médiatisé, ont bien sûr joué en sa faveur. Par ses attaques virulentes contre les institutions allemandes, il a trouvé grâce auprès de la communauté internationale, bien que son opposition à la guerre du Viêt-nam l’ait empêché de se rendre aux États-Unis jusqu’en 1974. Le drame personnel de Joseph Beuys est à nouveau au centre de l’exposition du Dia Center for the Arts. Les dessins proviennent d’un ouvrage de croquis principalement exécutés en 1975, alors qu’il voyageait au Kenya. Ils s’inspirent des Codex Madrid de Léonard de Vinci, rassemblant des dessins ainsi que des textes sur l’art et des sujets scientifiques produits entre 1493 et 1505. Ces carnet, qui appartenaient peut-être à Philippe V d’Espagne, étaient restés introuvables jusqu’en 1965, à la suite d’une erreur d’inventaire intervenue au moment où la collection royale avait été transférée à la Bibliothèque nationale de Madrid, au début du XIXe siècle. Pour Beuys, les dessins étaient un point de départ propice, malgré ce qu’il laissait entendre en 1961 : “Je ne m’intéresserai pas à de tels soi-disant chefs-d’œuvre, car leur importance est parfaitement discutable.”
Féminin/masculin
L’artiste rêvait dans sa jeunesse d’être médecin, mais la Seconde Guerre mondiale ne l’a pas permis. En 1947, il entre à l’Académie des Arts de Düsseldorf, où il se plaint de trouver la même approche cloisonnée et rigide qu’il avait rencontrée dans ses études de sciences. Cependant, les dessins de Beuys ne s’apparentent absolument pas à des graphiques scientifiques. Il s’agit au contraire de rêves, d’allégories personnelles dans lesquelles il utilise des paysages ou d’autres éléments pour explorer sa propre histoire et ses sentiments. Un essai critique indique que les montagnes évoquent ses expériences lorsqu’il était soldat en Italie. Dans la nouvelle et magnifique édition des dessins de Beuys, Ann Tempkin explique que les montagnes juxtaposées au croquis hâtif d’une guêpe peuvent être interprétées comme l’opposition entre le côté masculin et le côté féminin de l’auteur. D’autres dessins offrent une vision personnelle de formes qui évoquent l’homme vitruvien de Léonard, la représentation de la tête humaine dans les manuels anatomiques ou le corps de la femme de profil. Certains semblent délibérément flous, bien qu’Ann Tempkin soutienne que leur nature indéchiffrable traduit l’idée d’énergie, un thème très souvent abordé par Beuys. Il considérait le feutre qu’il utilisait dans ses sculptures comme une réserve d’énergie, à l’instar des piles électriques.
Le carnet de croquis ou de notes constitue souvent un éclairage sur le processus créatif d’un auteur ou d’un artiste. Et, en effet, comme le précise Martin Kemp, spécialiste des dessins de Léonard qui a participé à la rédaction de la nouvelle édition des dessins de Beuys, les deux artistes utilisent leurs carnets comme un champ d’expérimentation. Mais alors que Léonard tentait dans ses Codex “de matérialiser et visualiser ses pensées scientifiques”, l’intérêt de Beuys se portait plus directement sur le langage et les concepts.
L’exposition plus importante qui était programmée cette saison au Guggenheim Museum de SoHo n’aura pas lieu, en raison de la fermeture du musée.
Jusqu’au 13 juin, Dia Center for the Arts, 54 West 22nd Street, 10011 New York, tél. 1 212 989 55 66, jeudi-dimanche 12h-18h.
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Joseph Beuys d’après Léonard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Joseph Beuys d’après Léonard