À la galerie Nathalie Obadia, à Paris, Jessica Stockholder (née en 1959 à Seattle, vit et travaille à New York) explore le potentiel signifiant des objets, entre hasard et recherche formelle.
L’usage d’objets communs et bon marché dans votre travail est-il lié à une idée de domesticité ?
Je ne pense pas à la domesticité, je m’intéresse plus au fait qu’il s’agisse d’objets pratiques. Tout le monde est environné par ces objets et par différentes sortes d’objets. Ils ne sont pas chers et sont dans mes moyens. Si j’avais beaucoup d’argent et que j’utilisais des objets chers, le travail aurait une signification différente, mais je ne sais pas exactement laquelle car je n’ai pas cette expérience.
Je ne sais pas si m’intéresse le fait d’utiliser des matériaux très peu chers. Mon travail aborde la question de la valeur, et il y a différents types de valeurs : la valeur de l’argent, la valeur personnelle, sociale, historique, les valeurs humaines. L’art occupe une place où les valeurs sont compliquées. Et je pense que mon travail parle de cela d’une certaine manière, je fais attention à ce que l’œuvre entre dans le monde en utilisant ces manières de penser. Pour revenir au terme « domesticité », il est toujours associé aux femmes, mais les hommes aussi vivent dans des endroits domestiques. Je résiste donc à l’idée de développer cela comme manière de donner un sens au travail. Beaucoup de gens qui sont des spectateurs de l’art vivent avec des ondes domestiques, cela fait partie de la vie. Ces objets font donc partie du flux vital des êtres humains.
Vos œuvres viennent-elles d’un objet, d’une idée, d’une envie ? Comment travaillez-vous ?
C’est très différent. Parfois c’est une idée, parfois c’est juste en fonction des choses que j’ai dans l’atelier. Dans cette exposition il y a trois œuvres, Gross National Growth (2014), Set Eyes On (2015) et Informal Get Together (2014), qui toutes fonctionnent entre le plafond et le sol ; il y a comme des couches d’objets entre les deux. Même si j’ai déjà fait cela, ce n’est pas si commun dans mon corpus. Mais récemment j’ai pensé à l’espace entre le sol et le plafond et j’ai essayé d’ouvrir ce nouvel espace afin de travailler à l’intérieur. C’est donc un lieu délibéré sur lequel je ne m’étais pas focalisée. Les « driveway mirrors » [« miroir d’allée », ou grands rétroviseurs] qui se trouvent dans deux des pièces, je les aime beaucoup, car pour l’essentiel vous ne vous voyez pas dedans. C’est une sorte d’œuvre miroir qui joue toujours avec le matériau et l’objet et non avec un narcissisme. Et aussi ils ont une forme d’œil qui est liée à l’art Indien de la Côte nord-ouest [de l’Amérique du Nord]. Je viens de Vancouver, où il existe une tradition qui voit l’iconographie organisée autour de cette forme ovale ; je pense que cela propose un autre cadre pour les images et leur fabrication. Les bacs en plastique sont importants ici également ; j’aime travailler avec ces bacs pour leurs couleurs solides qui traversent complètement la matière. Ici je souhaitais en faire un groupe qui fonctionne comme un nuage de couleur. Ce nuage est vu comme un plan de couleur, et il y a aussi un plan de couleur bleue peint sur les tables au sol ; c’est la peau de la peinture qui contraste avec le nuage de matériaux colorés. Mais même si vous regardez une surface de peinture comme celle-là, il y a une illusion d’espace en elle. J’aime donc associer deux expériences différentes.
Quand vous travaillez sur une installation, est-ce dans une idée de composition ou y a-t-il une part de hasard ?
Je crois que le travail est très formel et j’accorde une importance à la composition, mais j’utilise aussi le hasard. D’un côté il est très sérieux, et d’un autre il pourrait être beaucoup d’autres choses, et j’aime ça : vous faites un choix et la vie passe et vous vivez avec les conséquences, toujours, chaque jour. Vous auriez pu faire un autre choix. C’est la même chose dans l’art : les choix s’accumulent et parviennent à une conclusion. Mais il y a aussi dans la manière de faire ces choix toutes sortes d’accidents, de découvertes, de hasards qui vous servent et font partie du travail. J’ai donc tendance à utiliser ce que le monde peut offrir et dans cette voie je travaille avec plusieurs systèmes et manières de penser qui sont le résultat de qui je suis. Mon histoire et mon éducation, mes habitudes, entrent en collision avec les systèmes et modes de pensée qui sont incorporés à ces objets que quelqu’un d’autre a dessinés. C’est donc une sorte de conversation que j’ai avec ces choses qui font partie du monde.
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Jessica Stockholder : « Ouvrir l’espace entre le sol et le plafond »
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Abonnez-vous dès 1 €Jessica Stockholder. Palpable glyphic rapture, jusqu’au 14 mars, Galerie Nathalie Obadia, 18, rue du Bourg-Tibourg, 75004 Paris, tél. 01 42 74 67 68, www.galerie-obaia.com, tlj sauf dimanche 11h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Jessica Stockholder : « Ouvrir l’espace entre le sol et le plafond »