Art contemporain - Photographie

Paroles d’artiste

Jeff Wall : « On ne peut échapper à la présence de Cézanne »

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2006 - 743 mots

Invité par le Musée d’Orsay, dans le cadre de son programme Correspondances, Jeff Wall présente une image récente, Rear View, Open Air Theater (2005), une vue de l’arrière d’un vieux théâtre de Vancouver. Il y confronte Le Pont de Maincy (1879) de Paul Cézanne, ainsi que cinq petits clichés pris à Paris par Eugène Atget, entre 1898 et 1902. Parallèlement, il expose à Paris à la galerie Marian Goodman.

Pourquoi avez-vous choisi d’accrocher en face de votre image des œuvres de Cézanne et Atget ?
Quand Serge Lemoine [président du Musée d’Orsay] m’a invité, je ne parvenais pas vraiment à fixer mon attention sur quelque chose en particulier. Je voulais absolument éviter Manet, car mon travail lui a, un peu trop à mon goût, été associé. De plus, il m’est impossible de faire consciemment et directement une œuvre en relation avec une autre.  J’ai donc laissé passer un peu de temps en me disant qu’une idée viendrait. Des artistes comme Cézanne ou Atget sont toujours présents d’une manière ou d’une autre.

Vous avez donc fait votre photo en premier lieu…
J’ai fait la photo du théâtre complètement par accident. Parce que ce n’était pas prémédité, la relation est meilleure, plus intéressante, plus directe. J’ai cherché un Cézanne approprié, avec une résonance visuelle. Le Pont de Maincy a justement une forme curviligne et un rocher qui font écho à mon image. Concernant Atget, j’ai choisi des photos représentant des immeubles isolés, vus à distance, parce que j’ai fait des photos d’un genre similaire. J’ai évité les clichés les plus célèbres.

Avez-vous une relation privilégiée à Cézanne ?
N’importe quel artiste sérieux a une relation avec Cézanne ! Vous ne pouvez pas échapper à sa présence, et je ne le souhaite pas car j’admire son travail. J’aime la façon dont il est passionné par son sujet. Il tente de trouver un moyen de s’éloigner de ses propres émotions, afin de mieux peindre, plus au calme.

Dans votre image, souhaitiez-vous dépeindre une atmosphère particulière ?
Je n’ai pensé à aucun événement, j’ai juste trouvé. Comme toute photo documentaire, c’est une découverte. Je n’ai rien fait, à la différence de mes images « cinématographiques », une catégorie où j’ai besoin de beaucoup de collaborations. L’aspect documentaire de mon travail se compose juste de photos prises dans le monde réel sans rien y ajouter. J’aime faire les deux et je pense qu’elles croisent des influences entre elles.

Pourquoi ce théâtre revêt-il une importance au point d’en faire une si grande image ?
Ce n’est pas vraiment important. Si l’image est bonne, alors les choses acquièrent une signification. Le pont dans le tableau de Cézanne ne signifie rien pour moi, mais j’aime la manière dont il est peint. Je crois que le sujet est porté par l’image.

Diriez-vous que cette image a un contenu narratif ?
Pas vraiment. Je pense que chaque image contient certaines traces de contenu narratif simplement en étant des images. Je dois accepter ce contenu et travailler à travers lui. J’ai été de plus en plus intéressé par une sorte de dualité dans les images, entre une mince absence de la narration, ce qui est le cas ici, et une mince présence de la narration, ce qui est vrai pour beaucoup de mes autres images où quelque chose de très « faible » se passe. La présence et l’absence de narration offrent une ligne très stable que l’on peut traverser facilement, et parfois vous ne savez même pas que vous la traversez.

Voyez-vous une analogie entre  le montage numérique et la technique picturale ?
En partie oui, car le travail numérique est fait à la main, lentement. Il permet aussi de faire une image en différentes parties. Vous n’êtes pas attaché à un seul négatif mais vous pouvez en combiner plusieurs. Tout cela ressemble un peu à la façon dont la peinture peut être faite dans le temps. Le montage numérique a rapproché la peinture et la photographie. Bien sûr, ce n’est pas la même la chose et on ne va pas clamer que ça l’est, mais il y a des échos, des échos croissants je dirais.

CORRESPONDANCES PAUL CÉZANNE/JEFF WALL

Jusqu’au 14 janvier, Musée d’Orsay, 62, rue de Lille, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 00, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, jeudi jusqu’à 21h45. Cat. - JEFF WALL, jusqu’au 9 décembre, galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dimanches et lundis 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Novembre 2006 - Jeff Wall : « On ne peut échapper à la présence de Cézanne »

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