« Smaller Pictures », soit « Petits formats », l’exposition de la Fondation Henri Cartier-Bresson, dévoile au public un aspect méconnu du travail de Jeff Wall qui se dit « fatigué des caissons ».
On connaît plutôt Jeff Wall pour ses tableaux photographiques de grandes dimensions, ses caissons lumineux et ses réinterprétations de tableaux, de scènes de films, de passages de livres ou de ce qu’il a vu dans la rue, à la télévision… Son parti pris à la Fondation Henri Cartier-Bresson de ne présenter que des plus petits formats vient donc bousculer la vision que l’on pourrait avoir de son œuvre. La démarche est inédite. Il s’en explique : « Je suis las, fatigué des caissons », las aussi d’être réduit à une palette dans laquelle lui-même s’est peut-être laissé aussi enfermé. Réviser donc depuis le début le rapport de Jeff Wall au format, à la composition et à la photographie directe, voire plus généralement à la photographie. L’espace réduit des lieux s’y prête, l’époque surtout, le marché, la vision du grand format et de la mise en scène. Cette proposition inédite du photographe canadien vient donc à point nommé bien qu’elle soit avant tout à mettre en perspective avec un auteur qui opère depuis quelques années une révision de son travail.
Processus
« Ces petits formats ne sont pas à séparer de mes autres travaux , précise Jeff Wall à ceux qui seraient tentés de l’établir. Ils appartiennent à mon travail et à ma façon d’exercer la photographie. » Le fait que la plupart des pièces, qu’il a sélectionnées et organisées lui-même entre elles, proviennent de sa collection personnelle n’est à ce titre pas anodin, y compris la maquette originale exposée de Landscape Manual. Publié en 1970, ce livre associe photographies noir et blanc (morceaux de route, de paysages pris à travers les vitres ou du pare-brise) et journal tenu par le photographe lors de trajets dans la ville et la périphérie de Vancouver, lieu de sa naissance le 29 septembre 1948. « Le trajet en voiture […] est à la fois un modèle opératoire d’expérience primaire et d’expérience en elle-même (un modèle processuel) », écrit Jeff Wall en introduction du livre. Ce modèle processuel est justement un des aspects de son propos qui s’articule entre, au premier étage, caissons lumineux conçus à l’origine en petit format et tirages papiers, au second. Étrange et troublante vision d’ailleurs que cet ensemble inauguré en 1992-1993 avec The Giant (39 x 48 cm) et Diagonal Composition (40 x 46 cm) et multiplié jusqu’en 2007, année durant laquelle Jeff Wall décide de ne plus avoir recours à ce type de tirage sur film transparent après avoir trouvé ce qu’il désirait pour ses photos en couleur tirées sur papier. Ces caissons semblent appartenir à une époque révolue et transforment en même temps l’espace en une chapelle ardente sous tension qu’illuminent des traces, des objets laissés par l’usage. Un savon au bord d’un lavabo, une serpillère contre un mur… : la vue rapprochée, directe, induit chez Jeff Wall le petit format ici dépourvu de silhouettes humaines, excepté pour The Giant.
Au téléphone portable
Au second étage, réservé aux tirages sur papier, changement de décor, d’ambiance. Se développe ici une sélection d’expériences et de réalisations visuelles sur vingt ans qui donnent la mesure du large spectre des registres de l’auteur tant du point de vue du sujet (portrait, nature morte ou paysage) que de l’appareil photo employé. La petite fille au bonnet blanc et manteau bleu accroupie derrière un mur vert pour ramasser on ne sait quoi sur le trottoir (Searcher) est la première photo qu’il a prise en 2007 avec son vieux téléphone portable Nokia. Le léger flou de la photographie tranche avec la netteté habituelle des autres photos. Sa composition parfaite, la justesse du format n’en font pas moins un tableau. Et Jeff Wall de rappeler son positionnement à l’égard du médium : « Les artistes qui produisent des images n’ont de cesse d’essayer de produire des tableaux, plus même que d’exprimer ce que nous sommes ou de vouloir changer le monde ou de le décrire tel qu’il est. »
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Jeff Wall change d’échelle
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Abonnez-vous dès 1 €Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis, Paris-14e, www.henricartierbresson.org, jusqu’au 20 décembre 2015.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°683 du 1 octobre 2015, avec le titre suivant : Jeff Wall change d’échelle